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voyez méprisée, outragée, vilipendée, réduite à se taire devant son époux, et traitée par lui avec peu d’affection, vous pourrez conjecturer que si elle souhaitait un enfant, c’était pour avoir son franc-parler, une pleine liberté, et obtenir plus d’amour de la part de son mari. Mais si vous trouvez tout le contraire, à savoir qu’elle était plus chérie que celles qui sont mères, qu’elle était entourée de plus d’affection, il deviendra clair que ce n’était point pour un motif humain ni pour s’attacher davantage son époux qu’elle désirait un enfant, mais bien pour la raison que j’ai dite. Comment donc éclaircir ce point ? Écoutez les propres paroles de l’historien : car ce qu’il en dit n’est point écrit sans but, mais afin de vous faire connaître la vertu de cette femme. Que dit-il donc ? Elcana chérissait Anne par-dessus Phenanna. (1Sa. 1,5) Ensuite, plus loin, la voyant s’abstenir de nourriture et pleurer, il lui dit : Qu’as-tu donc, qui te fasse pleurer ? Et pourquoi ne manges-tu pas ? Et pourquoi ton cœur te frappe-t-il ? Ne suis-je pas bon pour toi, au-dessus de dix enfants ? Voyez-vous combien il lui était attaché, et comme il s’affligeait principalement pour elle, non de ce qu’il n’avait point d’enfant, mais de la voir triste et en proie à la douleur ? Néanmoins il ne put lui persuader de s’arracher au chagrin. Car ce n’était pas pour lui qu’elle souhaitait un enfant, mais bien afin d’avoir un fruit à présenter à Dieu. Et elle se leva, dit l’Écriture, après qu’ils eurent mangé dans Sélom, et après qu’ils eurent bu, et elle se tint debout devant le Seigneur. Ce n’est pas sans intention qu’il est écrit : Après qu’ils eurent mangé et qu’ils eurent bu; c’est pour vous montrer qu’elle consacrait à la prière et aux larmes, étant à jeun et ne songeant point à dormir, le temps que d’autres passent dans le repos et dans la nonchalance. Et elle se tint debout devant le Seigneur, et le prêtre Hélie était assis sur son siège sur le seuil du temple du Seigneur. Cette phrase : Le prêtre Hélie était assis sur le seuil du temple du Seigneur, n’est pas non plus mise là au hasard ; c’est afin devons montrer la ferveur de la femme dont il s’agit. En effet, comme on voit souvent une femme veuve, sans protecteur, sans appui, en butte à la persécution et à l’injustice, lorsque le monarque va passer, précédé de gardes du corps, de satellites, de cavaliers, et de toute une imposante escorte, accourir sur son passage, sans s’effrayer, sans réclamer le secours de personne, et fendant cette foule compacte, adresser librement la parole au monarque, et exposer à ses yeux l’affreux tableau de sa propre infortune, sans autre introducteur que la nécessité. De même, Anne, sans rougir, sans éprouver de confusion, voyant le prêtre assis, ose adresser elle-même sa demande, et exprimer en toute liberté ses vœux au monarque ; et, comme si l’amour lui ; donnait des ailes, comme si elle montait au ciel en esprit, comme si elle voyait Dieu lui-même, elle lui parle avec toute la ferveur qui est en elle. Et que dit-elle ? Ah ! plutôt, elle ne, dit rien d’abord, elle débute par des gémissements, elle verse un torrent de larmes brûlantes. Quand les pluies tombent, la terre la plus dure se mouille, s’amollit et s’empresse dès lors de produire ses fruits. La même chose arriva pour Anne ; comme amolli par la pluie de ses larmes, comme échauffé par la douleur, son sein commença dès lors à sentir l’aiguillon précurseur de ce glorieux enfantement. Écoutons le texte même, écoutons cette belle supplication : Elle pleura, tout en larmes, et adressa un vœu au Seigneur, en disant : ADONAI, SEIGNEUR, ELOI SABAOTH. (1Sa. 1,10-11) Mots redoutables et qui font frissonner, l’historien a bien fait de ne pas les traduire en notre idiome, car il n’aurait pu les faire passer, avec leur vertu propre, dans là langue grecque. Anne ne se borne pas à invoquer Dieu par un mot, elle emploie plusieurs de ses noms, montrant par là son amour pour lui et la ferveur de son âme. Et de même que ceux qui adressent des requêtes au monarque n’y écrivent pas un seul nom, mais après l’avoir désigné en tête par les noms de victorieux, d’auguste, d’empereur et beaucoup d’autres, exposent ensuite leur demande ; de même Anne, dans la requête qu’elle adresse à Dieu, le désigne en commençant par plusieurs noms, manifestant par là, ainsi que je l’ai déjà dit, la disposition de son âme, et son respect pour Celui qu’elle invoque. Et ces prières mêmes, ce fût la douleur qui les lui dicta ; aussi fut-elle exaucée promptement comme une personne qui a rédigé sa requête avec beaucoup de sagesse. Telles sont en effet les prières qui partent d’une âme souffrante. Son esprit lui tint lieu de papier, sa langue de plume, ses larmes d’encre. Aussi sa requête a-t-elle subsisté jusqu’à ce jour. Car ce sont des lettres ineffaçables que celles qui sont tracées avec une encre pareille. Tels furent les