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un autre époux, et elle se résigna au veuvage, attendant un moment favorable ; car elle désirait vivement avoir des enfants de son beau-père. Or, quand elle apprit que sa belle-mère était morte, et que Juda venait à Thamna, pour tondre ses brebis, elle résolut d’avoir recours à la ruse pour s’unir à son beau-père ; elle désirait avoir de lui des enfants, non par libertinage, à Dieu ne plaise, mais pour ne pas être regardée comme une femme sans nom : d’ailleurs c’était l’ordre de la Providence ; et c’est pourquoi ses desseins furent accomplis. Elle quitta ses habits de veuvage, se couvrit d’un voile, s’enveloppa et s’assit auprès des portes. Puis la sainte Écriture, comme pour la justifier, ajoute : car elle voyait que, quoique Sélom fût devenu grand, elle ne lui avait point été donnée pour femme : c’est pour ce motif qu’elle eut recours à une pareille ruse. Juda la prenant pour une prostituée (car elle s’était voilée le visage, afin de ne pas être reconnue), se détourna vers elle. Celle-ci lui dit : Que me donneras-tu ? Judas promit de lui envoyer un chevreau de son troupeau. Elle répondit : Pourvu que tu me donnes des gages, jusqu’à ce que tu me l’envoies. Et il lui donna sa bague, son collier et son bâton ; il vint vers elle, et elle conçut de lui. (Gen. 37,14-18)
Qu’aucun de ceux qui entendent ce récit, ne condamne Thamar ; car, comme je me suis hâté de le dire, elle servait les desseins de la Providence, et c’est pour ce motif qu’elle ne mérite aucun blâme et qu’aucune accusation ne doit peser sur Juda. En effet, si vous partez de là en suivant l’ordre des temps, vous trouverez que le Christ descend des enfants issus de cette union ; d’ailleurs les deux fils qui lui naquirent étaient la figure des deux peuples, et la révélation de la vie judaïque et de la vie spirituelle. Mais voyons comment Juda, quelque temps après son départ, et au moment où la vérité fut connue, comment, dis-je, il se condamne lui-même et absout Thamar de toute accusation. Lorsqu’elle eut exécuté son dessein, elle changea de nouveau de vêtements, dit l’Écriture, s’en alla et revint dans sa maison. Juda, qui n’était nullement au courant de ces faits, accomplit sa promesse et envoya le chevreau, pour reprendre les gages qu’il avait donnés : mais l’esclave ne trouva cette femme nulle part, et il revint, annonçant à Juda qu’il n’avait pu la rencontrer dans aucun endroit. A cette nouvelle, Juda s’écria : Pourvu que jamais nous ne soyons accusé d’ingratitude. C’est qu’il ne connaissait pas la vérité. Mais quand, trois mois après, la grossesse de Thamar annonça son prochain enfantement, et comme personne ne savait son union furtive avec son beau-père, on vint annoncer, dit l’Écriture, à Juda, qu’elle portait dans son sein le fruit de ses débauches. Alors il dit : conduisez-la dehors et qu’elle soit brûlée. Grande était son indignation, terrible était le châtiment, parce qu’à ses yeux la faute était de la plus haute gravité. Que fit donc Thamar ? Elle renvoya les gages qu’elle avait reçus, en disant: J’ai conçu de l’homme à qui appartiennent ces choses. (Id. 24-25).
2. Remarquez comment, tout en gardant le silence, elle produit des témoins dignes de foi, qui parleront en sa faveur, et pourront la mettre à l’abri de toute accusation. Comme elle avait besoin de trois témoins, elle qui était sous le coup d’une pareille accusation, elle envoya, comme preuve éclatante de son innocence, les trois espèces de gages qu’elle avait reçus, l’anneau, le collier et le bâton, et, quoiqu’elle fût restée à la maison, quoiqu’elle eût conservé le silence, elle remporta la victoire. Juda les reconnut et dit : elle est justifiée plutôt que moi ; c’est parce que je ne l’ai pas donnée à Sélom, mon fils. Que signifient ces paroles : Elle est justifiée plutôt que moi ? Il veut dire ; c’est elle qui est innocente, et moi, je me condamne moi-même, je me dénonce, sans que personne m’accuse ; que dis-je ? ces gages que j’ai donnés ne sont-ils pas contre moi une preuve suffisante ? Puis, pour justifier de nouveau Thamar, il dit : C’est parce que je ne l’ai pas donnée à Sélom, mon fils. S’il s’accuse ainsi, c’est sans doute pour le motif que je vais vous dire. En effet, Juda croyait que Thamar avait causé la mort à Er et à Onan, et dans cette crainte, il ne la donna pas à Sélom, quoiqu’il le lui eût promis ; par là il devait connaître qu’elle n’était pas la cause de leur mort, mais qu’ils avaient reçu le châtiment de leur perversité ( car c’est Dieu, dit l’Écriture, qui a fait périr le premier, et, en parlant du second, elle ajoute : c’est Dieu qui lui a donné la mort) ; aussi Judas s’unit-il à son insu à sa belle-fille, et, par ce fait, il apprend que ce n’est pas elle, mais leurs propres vices qui leur ont mérité ce châtiment ; alors il reconnut sa faute, déclara que Thamar était innocente, et il ne continua plus dit l’Écriture, à la connaître. Il prouvait ainsi qu’il n’aurait