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ainsi, avant que Joseph fût encore arrivé ; ils avaient déjà terminé leur entretien, lorsqu’il arriva vers ses frères. Tandis qu’ils auraient dû accourir vers leur frère, l’embrasser et lui demander quelles nouvelles il apportait de leur père, ces méchants, semblables à des bêtes féroces qui ont aperçu un agneau, s’élancèrent sur lui, le dépouillèrent de sa tunique de diverses couleurs, le saisirent et le jetèrent dans la fosse. Or la fosse était vide, et il n’y avait point d’eau. Ils suivirent le conseil de Ruben ; et après avoir jeté Joseph dans cette fosse, ils s’assirent pour manger du pain. O comble de la cruauté et de l’inhumanité ! Joseph parcourt une si longue route, et cherche ses frères avec tant de zèle, afin de les voir et de rapporter à son père ce qui se passe ; et ceux-ci, semblables à des barbares et à des sauvages, décident de le laisser mourir de faim, après que Ruben les a dissuadés de répandre le sang de leur frère. Mais Dieu, dans sa bonté, l’arracha bientôt aux mains de ses frères en délire. Car, dit l’Écriture, pendant qu’ils étaient assis et mangeaient leur pain. Ils aperçurent des Ismaélites qui passaient et se dirigeaient vers l’Égypte, Juda leur dit : De quoi nous servira-t-il de tuer notre frère et de cacher son sang ? Venez, vendons-le à ces Ismaélites, et ne mettons point notre main sur lui, car il est notre frère et notre chair.
4. Voyez comment Ruben d’abord les a empêchés de commettre un grand crime, en leur donnant un conseil moins criminel, et comment ensuite Juda leur persuade de vendre leur frère, pour le ravir à la mort. Tous ces événements se succédaient de façon que les révélations de Dieu s’accomplissent, même malgré eux, et qu’ils servissent eux-mêmes les desseins de la Providence : Ils approuvèrent, dit l’Écriture, le conseil de Juda, tirèrent Joseph de la fosse, et le vendirent aux Ismaélites vingt pièces d’or. O coupable trafic, ô gain funeste, ô vente injuste ! Lui qui est Dé des mêmes entrailles que vous, lui qui est ainsi chéri de son père, lui qui est venu pour vous visiter, lui qui ne vous a jamais fait aucun tort, ni grand, ni petit, vous osez le vendre, et cela à des barbares qui descendent en Égypte ! Quelle est cette folie ? Quelle est cette jalousie, cette envie ? Car si vous agissez ainsi parce que vous craignez ses songes et que vous êtes persuadés qu’ils s’accompliront, pourquoi tentez-vous l’impossible, pourquoi vous conduisez-vous ainsi et faites-vous la guerre contre Dieu qui a révélé ces événements à Joseph ? Mais si vous ne tenez aucun compte de ces songes, si vous les regardez comme des sottises, pourquoi commettez-vous un crime, qui attachera à votre nom une souillure éternelle, et causera à votre père un mortel chagrin ? A quel degré en est venue leur passion, que dis-je ? leur ardeur sanguinaire ! Lorsque quelqu’un se livre à un acte criminel, et qu’il est comme accablé sous le poids de ses pensées coupables, il ne songe pas à l’œil qui ne dort jamais, il ne respecte pas même la nature, et il foule aux pieds tout ce qui peut exciter sa commisération ; c’est ce que ceux-ci ont éprouvé. Ils n’ont pas réfléchi que Joseph était leur frère, qu’il était jeune et chéri de et qu’il allait parcourir un si vaste pays, pour habiter avec des barbares, lui qui n’avait jamais vécu sur la terre étrangère et qui jamais n’avait servi un maître ; ils rejetèrent loin d’eux tout sentiment sage, et ne songèrent qu’à satisfaire comme ils le croyaient leur propre jalousie. Ainsi par la pensée ils étaient déjà fratricides ; mais celui à qui ils faisaient subir de si indignes traitements, supporta tout avec courage.
Car la main de Dieu le protégeait et l’aidait à souffrir toutes ces injustices avec résignation. Si nous nous sommes conciliés la bienveillance divine, quand même nous serions au milieu des barbares et sur la terre étrangère, nous pouvons mener une vie plus heureuse que ceux qui habitent dans leur patrie et sont entourés de toutes sortes de soins ; mais aussi, quand même nous vivrions dans notre maison, quand même nous paraîtrions nager dans l’opulence, si nous sommes privés du secours d’en haut, nous sommes de beaucoup les plus misérables. Grande est la force de la vertu, grande est la faiblesse du vice ; c’est ce que prouve surtout l’histoire que nous avons entre les mains. Ici, en effet, quels sont ceux que vous jugez les plus misérables, et qui vous paraissent mériter le plus de larmes ? Dites-le-moi ; sont-ce ces méchants qui ont commis un si grand crime envers leur frère ? Ou bien est-ce Joseph qui est tombé au pouvoir des barbares ? Ce sont eux évidemment. Considérez, je vous prie, comment cet enfant admirable qui a été élevé avec tant de soin et qui a grandi continuellement entre les bras de son père, est aujourd’hui forcé tout à coup de supporter un