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malgré son âge qui aurait dû leur inspirer de la compassion, ils n’ont voulu conserver aucune amitié pour lui, et que, dès le principe, ils se sont laissé emporter par la jalousie, en voyant la tendance de cet enfant vers la vertu, et la bienveillance que leur père lui témoignait. Ils accusèrent Joseph d’une action criminelle devant Israël, leur père[1]. Voyez comme ils poussèrent la méchanceté à son comble : ils essayent de détruire l’affection, de Jacob pour son fils, et ils inventent des calomnies contre leur frère, mais ils ne réussissent qu’à rendre leur jalousie plus évidente. Et vous reconnaîtrez qu’ils n’ont recueilli d’autre fruit que de répandre la lumière sur leurs secrets desseins. Si vous considérez comme ce père s’attache plus étroitement encore à son fils, même après cette calomnie, et comment il le préfère à tous : Or Jacob, dit l’Écriture, aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse. Et il lui fit une robe de diverses couleurs. Que signifient ces paroles : Il aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse ? Comme il lui était né le dernier, à l’époque de sa vieillesse, il le chérissait plus que tous les autres. En effet les enfants que l’on engendre dans la vieillesse semblent plus dignes d’amour, et obtiennent de leur père une affection plus vive. Mais ce n’était pas là le seul motif de l’amour que Jacob lui témoignait et de la préférence qu’il avait pour lui : car la sainte Écriture nous apprend qu’un autre fils lui naquit encore après Joseph ; et si son affection avait suivi l’ordre de la nature, c’est sur ce dernier qu’il l’aurait reportée tout entière, puisqu’il était vraiment l’enfant de sa vieillesse et qu’il avait été mis au monde au moment où ce juste était déjà parvenu à un très-grand âge. Quel motif devons-nous donc ajouter ? C’est qu’une grâce presque céleste rendait cet enfant cher à son père, et le poussait à le préférer aux autres à cause de sa vertu ; et l’Écriture nous dit que Jacob le chérissait ainsi, parce qu’il était l’enfant de sa vieillesse, dans la crainte d’augmenter la jalousie de ses frères.
C’est là une terrible passion, et, lorsqu’elle s’est emparée de notre âme, elle ne la quitte pas, avant de l’avoir poussée jusqu’au dernier égarement ; elle déchire l’âme où elle a pris naissance, et produit sur le personnage, objet de notre jalousie, des effets contraires à ceux que nous attendions, en le rendant plus célèbre, plus : illustre et plus éclatant, ce, qui est pour l’envieux une nouvelle et, profonde blessure. Considérez en effet comment cet enfant, vraiment digne de notre admiration, sans connaître aucun des faits qui s’étaient passés, se conduit avec ses frères que les mêmes entrailles ont nourris ; il montre une pleine confiance en eux et il leur parle avec une entière franchise ; ceux-ci au contraire, dominés par la passion de l’envie, sont remplis de haine pour lui : Ses frères, dit l’Écriture, voyant que leur père l’aimait plus qu’eux tous, le haïssaient, et ne pouvaient lui parler sans aigreur. Voyez de quelle haine ils poursuivent cet enfant qui ne leur a fait aucun tort : Et ils ne pouvaient, dit l’Écriture, lui parler sans aigreur. Pourquoi ne pouvaient-ils lui parler sans aigreur ? C’est que cette passion s’était rendue maîtresse de leur cœur, et que la haine s’y développait chaque jour : elle les avait pour ainsi dire domptés et les tenait sous sa puissance : aussi se conduisaient-ils avec lui d’une manière hypocrite, et ne pouvaient-ils lui parler sans aigreur. L’Écriture nous indique la source de leur haine c’est la jalousie qui lui a donné naissance. Ses frères, nous dit l’Écriture, voyaient que leur père l’aimait plus qu’eux tous. L’amitié que Jacob avait pour Joseph, excita contre lui la jalousie de ses frères ; mais c’était sa vertu qui lui avait concilié la bienveillance de son père. Ainsi lorsqu’ils auraient dû chercher à égaler Joseph et à imiter sa conduite, pour obtenir de leur côté l’amitié de leur père, non seulement ils n’ont pas même eu cette pensée, mais ils ont tous témoigné leur haine à celui qui était l’objet de l’affection de Jacob. Devenus ses ennemis, ils nourrissaient dans leur cœur leur secrète passion, ne lui parlaient jamais sans aigreur, et se conduisaient avec lui d’une manière hypocrite ; cet enfant, au contraire, digne de notre admiration, avait toujours pour eux la même amitié, ne soupçonnait rien, avait en eux la confiance qu’on doit accorder à des frères, et faisait tout ce qui était en son pouvoir.
2. C’est cette passion funeste qui, dès le commencement du monde, poussa Caïn à tuer son frère. De même que ceux-ci haïssaient Joseph à cause de l’affection que leur père lui témoignait, étaient devenus ses ennemis, et

  1. Tel est le sens que donne le texte des Septante ; dans l’Hébreu et dans les autres versions on lit au contraire que ce fut Joseph qui accusa ses frères d’une action criminelle.