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accomplit pas, sera semblable à l’insensé qui a bâti sa maison sur le sable ; les fleuves sont venus, et les vents ont soufflé, et se sont précipités sur cette maison, et elle est tombée, et sa ruine a été grande? (Mt. 7,26) Mais ceux que l’on a vus accourir à l’hippodrome sont plus insensés encore. Car, selon l’Évangile, la maison de l’insensé n’est tombée qu’à la suite de fortes secousses. C’est ce que nous donnent à entendre ces expressions fleuves et vents, qui ne désignent point l’inondation et la tempête, mais la violence des tentations. Et de même la ruine de cette maison ne marque point le renversement d’un édifice matériel, mais la chute d’une âme qui succombe sous le poids des graves afflictions auxquelles elle n’a pu résister. Contre vous, au contraire, les vents ne se sont point déchaînés, et les fleuves ne se sont point précipités ; un léger souffle du démon a suffi pour vous renverser tous.
Est-il folie plus impardonnable ! À quoi vous sert le jeûne ! Je vous le demande ; et à quoi bon venir ici ? Qui ne déplorerait donc votre malheur et le mien ? Le vôtre, puisque vous avez perdu dans un instant ces trésors de piété si laborieusement amassés et que vous avez vous-mêmes ouvert votre âme au démon, comme pour lui faciliter le vol de vos richesses spirituelles ; et nous, qui ne nous plaindra de parler à des oreilles insensibles, et d’être si malheureux que de semer chaque jour, et de ne rien récolter ! Croyez-vous donc que je ne sois zélé à vous annoncer la parole sainte que pour flatter vos oreilles, et rechercher vos louanges ? Non, non ; et si vous ne retirez aucun fruit de mes discours, il vaut mieux que désormais je me taise : car je ne veux pas être pour vous la cause d’une plus sévère condamnation. Le marchand quia frété un navire l’a chargé d’une riche cargaison, et qui le voit périr corps et biens par la violence des vents et des tempêtes, nous présente le douloureux spectacle d’un homme échappé nu au naufrage, et tombé d’une immense opulence dans la plus affreuse indigence. Voilà aussi ce que le démon a fait à votre égard. Il a vu que votre âme, comme un navire spirituel, était remplie de précieuses richesses, et que vous aviez réuni un véritable trésor par vos jeûnes et votre assiduité à venir entendre la parole sainte. Aussi s’est-il hâté de déchaîner l’orage, c’est-à-dire ces courses inutiles et dangereuses de l’hippodrome, et par cette fatale curiosité, il vous a dépouillés de tous vos biens.
2. Ces reproches sont trop véhéments, je le sens ; mais pardonnez-les à mon zèle, et souffrez que je soulage ainsi ma douleur. D’ailleurs ce n’est point la haine qui inspire mes paroles, mais un cœur qui vous aime, et qui ne cherche que votre salut. C’est pourquoi je me relâche de ma sévérité, et, content d’avoir pu arrêter les progrès du anal, je veux, mes chers frères, ranimer en vous une bonne espérance, en sorte que vous ne vous abandonniez pas au désespoir, et que vous ne perdiez pas entièrement courage. Car il y a cette différence entre les malheurs temporels et les pertes spirituelles, qu’on ne peut dans un instant se relever d’une extrême indigence, et retrouver son opulence première, tandis que la miséricorde divine nous offre toutes facilités de recouvrer promptement notre ancien état. Il suffit que nous voulions détester nos fautes, et secouer désormais une coupable inaction. Tel est en effet le Maître que nous servons, et telle est sa bonté et sa libéralité. Aussi nous assure-t-il lui-même par la bouche d’un prophète : Qu’il ne veut point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. (Ez. 18,23) Je sais en outre que vous êtes bons, et que vous sentez l’indignité de votre conduite. Or, c’est déjà un grand pas fait pour revenir à la vertu que de connaître la grandeur de sa faute.
Mais ne m’alléguez point cette excuse mensongère et diabolique, et ne me dites pas quel mal y a-t-il d’aller voir des courses de chevaux ? Car si vous voulez observer attentivement tout ce qui s’y passe, vous demeurez convaincus que tout s’y fait à l’instigation du démon. On n’y voit pas seulement courir des chevaux, mais on y entend des cris, des blasphèmes et des discours inconvenants. Des courtisanes éhontées s’y montrent publiquement, et de jeunes efféminés y étaient leur mollesse. Est-ce donc là un mal léger, et ne suffit-il pas pour séduire et captiver les âmes ? trop souvent une rencontre fortuite surprend et précipite dans l’abîme l’imprudent qui n’est pas sur ses gardes ; et qu’éprouveront donc ceux qui accourent volontairement à l’hippodrome, qui rassasient leurs regards de ces spectacles lascifs, et qui en reviennent les yeux pleins d’adultères ? Le Seigneur savait bien que l’homme n’est que trop exposé à la tentation, et il n’ignorait pas la malice et les ruses du démon ; aussi a-t-il voulu nous prémunir contre