Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/381

Cette page n’a pas encore été corrigée

oubliant le Maître de la nature, accuser ton mari qui n’y peut rien ? Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. Mal affreux de la jalousie, qui dégénère en démence, comme il arrive à Rachel ! Voyant la troupe d’enfants qui était née de sa sueur et réfléchissant à sas solitude, elle ne supporte point cette affliction et ne peut réprimer la préoccupation qui la trouble, mais prononce ces paroles pleines de folie : Donne-moi des enfants, sinon je mourrai. Elle devait savoir l’amour de son mari pour elle, et penser que ce n’était point par sa volonté que Lia avait été si féconde et elle-même stérile, quand elle dit : Donne-moi des enfants. Puis, pour effrayer elle ajoute : Sinon je mourrai. Et que fit le pieux Jacob ? Il s’irrita de ces paroles, dit l’Écriture, et lui répondit : Suis-je donc l’égal de Dieu, qui a refusé un fruit cites entrailles ? (30, 2) Quoi, dit-il, tu oublies le Maître de la nature et tu t’en prends à moi ! C’est lui qui a refusé un fruit à tes entrailles. Pourquoi ne pas lui adresser tes demandes, à lui qui peut te rendre féconde ? Apprends-le donc c’est lui qui t’a rendue stérile et qui a donné à ta sœur cette riche fécondité. Ne me demande donc pas ce que je ne puis accomplir, et dont je rie suis point le maître. Si cela dépendait de moi, je t’aurais toujours préférée à ta sœur, puisque je te portais dès l’abord un plus grand amour. Mais puisque, quelque tendresse que j’aie pour toi, je ne puis te satisfaire, invoque celui qui est l’auteur de ta stérilité et qui peut y mettre fin.
Voyez les saines pensées de ce juste et comment, même dans la colère que lui causent les paroles de Rachel, il lui fait une réponse pleine de sagesse, l’instruisant de l’exacte vérité et lui révélant clairement la cause de sa tristesse, afin qu’elle n’oublie plus le souverain Maître pour demander à un autre ce que seul il peut donner. Apprenant donc que c’est Dieu qui lui refuse des enfants et voyant que sa sœur est fière des siens, elle se procure quelque consolation et dit à Jacob : puisque tu m’as appris que ce n’est point par ta faute que je demeure stérile, prends ma servante pour femme afin que je trouve une faible consolation en tenant pour miens les enfants que tu auras d’elle. Et elle lui donna pour femme Balla, sa servante ; Balla conçut de lui et enfanta un fils à Jacob ; et Rachel dit : Dieu a prononcé son jugement, il a entendu ma voix et m’a donné un fils. C’est pourquoi elle lui donna le nom de Dan. (Gen. 30,4-6) Elle a donc trouvé une légère consolation dans l’enfantement de sa servante : et à cause de cela elle donne ce nom à l’enfant et rend grâces au souverain Maître pour sa naissance. Balla eut encore un enfant de et Rachel dit : Dieu m’a secourue, et je suis devenue l’égale de ma sœur ; je ne suis plus abattue ; et elle appela l’enfant Nephthali. (7-8) Elle vit bien par là que Jacob n’était point l’auteur de sa stérilité. Elle élève ses enfants comme les siens et leur donne leurs noms ; son imagination lui fait trouver là une consolation bien grande. Or Lia, voyant qu’elle-même avait cessé d’enfanter, donna aussi pour femme à Jacob Zelpha, sa servante ; celle-ci conçut et enfanta un fils, et Lia dit : Oh ! bonheur (9-11), c’est-à-dire j’ai réussi dans mon dessein. Et elle l’appela Gad.(11) Elle le nomme ainsi parce qu’elle a obtenu l’objet de ses vœux. Zelpha conçut encore, et enfanta un autre fils ; et Lia dit : Je suis heureuse, parce que les femmes m’estimeront heureuse ; et elle appela l’enfant Aser. (12-13)
5. Vous venez de voir comment Lia aussi s’approprie les enfants de la servante, cominen1elle se dit heureuse et réputée heureuse à cause de leur naissance. Mais considérez maintenant la suite, afin d’apprendre comment la passion de la jalousie se reportait de l’une sur l’autre et tourmentait alternativement, tantôt Rachel, tantôt Lia : Ruben étant sorti dans la campagne, au temps de la moisson du froment, trouva des pommes de mandragores et les apporta d sa mère. Et Rachel dit à Lia, : Donne-moi des mandragores de ton fils. Lia lui répondit N’est-ce pas assez de m’avoir pris mon mari, sans avoir encore les mandragores de mon fils ? (29, 14-15) Voyez-vous comment la passion de l’âme se manifeste par les paroles : N’est-ce pas assez de m’avoir pris non mari, sans avoir encore les mandragores de mon fils ? Rachel lui dit : Ce n’est pas cela : Qu’il dorme avec toi cette nuit en échange des mandragores de ton fils. Donne-moi des mandragores et garde aujourd’hui mon mari avec toi. Voyez comment ce texte manifeste l’affection de Jacob pour Rachel. Si, après que Lia lui adonné tant d’enfants, son affection s’attachait encore à Rachel, comment, si elle n’eût pas été féconde, Lia eût-elle pu supporter de voir son mari s’attacher toujours à Rachel ? Or celle-ci ayant pleine puissance sur son mari, le laisse pour