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en instruire d’autres ; dans cette pensée je termine ici mon exhortation ; je reprends l’enseignement que nous fournissent d’ordinaire les paroles du bienheureux Moïse, disons mieux de l’Esprit-Saint, s’exprimant par sa bouche. Je veux ajouter quelques mots encore et je vous servirai le festin que Moïse vous apprête aujourd’hui. Vous avez vu dernièrement qui ne fait rien que d’après le conseil de Rébecca, arracher à son père la bénédiction, larcin louable auquel Dieu coopéra lui-même et qui réussit. Mais Esaü détestait Jacob à cause de cette bénédiction et il se préparait à le faire mourir. Tel est en effet le caractère de cette passion perverse ; elle ne s’arrête pas avant d’avoir jeté dans le précipice le malheureux qu’elle possède, il faut que l’homicide coure à son crime ; la racine de l’homicide c’est l’envie, ce que fait bien voir dès les premiers jours du monde l’œuvre de Caïn contre Abel. Il n’avait aucun prétexte, ni petit ni grand, d’accusation contre son frère ; mais il vit les offrandes d’Abel agréables à Dieu, les siennes rejetées par sa faute, et aussitôt l’envie s’éveilla dans son cœur. Et cette racine du meurtre ayant pris naissance au fond de son âme, produisit bientôt le fruit funeste, et il commit l’homicide. De même aujourd’hui Esaü voit que son frère a reçu la bénédiction de son père, et la colère et l’envie le poussent à l’homicide, et il médite la mort de son frère.
Cette admirable mère, dans la crainte que lui inspire cette haine, montre encore toute son affection maternelle pour son enfant et elle lui indique le moyen de s’arracher aux mains de son frère. Elle appela, dit le texte, son plus jeune fils et lui dit : Voilà Esaü, votre frère, qui menace de vous tuer ; écoutez donc ma voix. (Id. 42, 43) L’expérience doit vous montrer, lui dit-elle, que mes conseils vous sont utiles ; déjà, pour avoir écouté ma voix, vous avez attiré sur vous les trésors de la bénédiction de votre père, faites de même maintenant, écoutez encore ma voix afin d’échapper aux mains de votre frère. Ainsi vous vous mettrez vous-même à l’abri des dangers et vous m’épargnerez une grande douleur. Car il est tout naturel de penser que, s’il osait commettre un tel attentat, il en serait puni, et il n’y aurait plus pour moi, de tous côtés, qu’une douleur sans bornes. Écoutez donc ma voix : hâtez-vous de vous retirer vers mon frère Laban, dans le pays de Charran : vous demeurerez avec lui quelques jours, jusqu’à ce que l’irritation, la colère de votre frère contre vous soit apaisée, jusqu’à ce qu’il oublie ce que vous lui avez fait ; j’enverrai ensuite pour vous faire revenir ici, pour ne pas perdre mes deux enfants en un seul jour.
Allez-vous-en, dit-elle, Vers mon frère Laban, vous demeurerez avec lui. (Id. 44, 41) En effet, il est naturel de penser que la séparation, que le temps apaisera le ressentiment, éteindra la colère, apportera l’oubli de ce qui est arrivé, de cette bénédiction surprise. Jusqu’à ce qu’il oublie, dit-elle, ce que vous lui avez fait. Il n’est pas étonnant, dit-elle, qu’il soit en colère ;.c’est pourquoi il vous convient de vous préserver de sa fureur, de laisser passer le temps qui produira l’oubli, afin que vous puissiez ensuite demeurer ici sans danger. Et, pour rendre moins pénible à son fils l’exil qu’elle est forcée de lui imposer, voyez d’abord comme elle le console : Allez auprès de Laban, mon frère ; est-ce que je vous dis d’aller trouver je ne sais quel étranger ? Mon frère : et vous demeurerez avec lui quelques jours ; un temps bien court, dit-elle, rien que quelques jours, jusqu’à ce que la colère soit passée. Maintenant sa colère est bouillante, dit-elle, et le respect d’un père ne le retiendra pas ; il est dominé par la colère ; il n’a plus dans le cœur d’amour fraternel ; il n’a plus qu’une pensée, celle d’assouvir son ressentiment. J’enverrai ensuite pour vous faire revenir promptement ici, dit-elle ; je vous ferai revenir ; allez-vous en donc avec confiance, puisque j’enverrai pour vous faire revenir ici. Car, je suis tout à fait inquiète ; j’ai peur pour mes deux enfants ; je ne veux pas être privée de mes deux enfants. Voyez la sagesse de la mère. Elle suit un mouvement naturel ; bien plus, elle aide à accomplir la prédiction de Dieu. En ce moment même, elle donne à son enfant le même conseil que le Christ à ses disciples, quand il leur conseillait de ne pas s’exposer témérairement au danger, mais de se retirer pour laisser aux fureurs insensées le temps de s’éteindre. C’est donc là le conseil qu’elle donne à son fils ; elle commence par lui inspirer de la confiance, il ne faut pas que son départ lui soit trop pénible. Et puis, elle imagine un prétexte honnête pour motiver ce départ ; il ne faut pas qu’il paraisse d’une manière trop manifeste se retirer devant la haine de son frère, il ne faut pas que le père sache la vraie cause du voyage, à savoir, la colère