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effet, ce roi qui commandait à out un peuple, qui avait tout sous sa main, dit à ce voyageur, à cet homme errant, qui passe d’un pays dans un autre : Retirez-vous d’avec nous, parce que vous êtes devenu beaucoup plus puissant que nous. Eh bien ! oui, il était vraiment plus puissant, parce qu’il avait, en toutes choses, pour lui, le secours d’en haut, et la droite de Dieu était son appui. Où donc envoies-tu ce juste que tu chasses ? Ignores-tu donc que partout où tu le contraindras d’aller, il sera toujours dans les domaines qui appartiennent à son Seigneur ? L’expérience ne t’a donc pas appris que c’est la main de Dieu qui glorifie ce juste, et le conserve ? Pourquoi donc, en chassant ce juste, montres-tu ton délire envers son Seigneur ? Ainsi la parfaite douceur de ce patriarche n’a pas triomphé de ta haine jalouse, et toi, vaincu par ton mal, tu veux accomplir l’œuvre de l’envie, et tu forces à une nouvelle émigration celui qui ne t’a fait nulle offense ! Ignores-tu donc qu’alors même que tu l’auras poussé dans la plus profonde des solitudes, il verra encore près de lui son Seigneur, assez habile pour le revêtir, même au sein du désert, d’une gloire plus éclatante encore ? Non, rien n’est plus solide que celui qui marche avec l’aide d’en haut ; de même que rien n’est plus infirme, que l’homme privé d’un tel secours.
2. Avez-vous bien vu, mon bien-aimé, la méchanceté du roi de Gérara et de tous les habitants de ce pays ? Voyez maintenant l’extrême douceur du juste ; il ne s’abandonne pas à l’orgueil, même quand les effets lui prouvent que Dieu l’assiste ; quoique fort du pouvoir d’un tel compagnon d’armes, il ne se révolte pas contre le roi.. Comme un homme qui n’a aucun appui, qui n’attend, de quelque part que ce soit, aucun secours, avec une parfaite douceur, sans résister, même d’un mot, il fait ce que le roi lui commande, et aussitôt il se retire de ce pays, il s’éloigne, il apaise la colère et l’envie du méchant ; en même temps qu’il montre cette rare douceur qui le distingue, il adoucit les sentiments haineux qui troublent le cœur de l’autre. Et Isaac se retira, et vint habiter près du torrent de Gérara. (Id. 17) Il fit ce que le Christ recommandait à ses disciples : Quand ils vous poursuivront, fuyez dans un autre lieu. (Mt. 10, 23) Et comme David apaisait la haine de Saül en se retirant, en se dérobant à ses yeux, et tempérait ainsi sa colère (1Sam. 19) ; de même ce juste accomplissait la parole de l’Apôtre : Laissez de l’espace à la colère. (Rom. 12, 19) Donc il quitta la ville, et s’en alla dans la vallée. Voyez d’ailleurs quelle douceur encore il montra dans ce nouveau séjour. Car ce ne fut pas là le terme de ses ennuis ; même dans cette autre résidence, comme il voulait creuser des puits, on lui suscita des querelles. En effet, dit le texte : Il fit creuser de nouveau d’autres puits que les serviteurs d’Abraham, son père, avaient creusés, et que les Philistins avaient bouchés, et il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés auparavant. Ils fouillèrent aussi au fond du torrent, et ils y trouvèrent de l’eau vive, c’est-à-dire de l’eau qui coulait dessous ; mais les pasteurs de Gérara firent encore là une querelle, en disant que l’eau leur appartenait.
Ici encore, le juste ne discute pas, ne résiste pas ; il cède aux bergers ; c’est que la vraie douceur ne consiste pas à supporter les offenses des plus forts, mais à céder, même quand on est offensé par ceux qui paraissent plus faibles. Alors en effet, la modération peut être attribuée uniquement à la douceur ; autrement on pourrait traiter de douceur feinte l’impuissance où l’on se trouve de résister aux plus forts. Ce qui prouve clairement qu’Isaac, cédant au roi, n’a pas reculé devant sa puissance, mais n’a fait qu’écouter sa douceur naturelle ; c’est qu’il tient la même conduite à l’égard des bergers. Et, de même qu’il s’est retiré quand l’autre lui disait : Retirez-vous d’avec nous ; de même qu’il obéissait aussitôt comme à un ordre, de même ici, quand les bergers veulent lui faire du mal, et revendiquent, pour eux, le puits, il s’éloigne. Il fallait conserver à jamais, dans la postérité, le souvenir de cette injustice ; il donne au puits un nom pris de ce qui était arrivé. En effet, l’injustice était criante, et il appela ce puits Injustice, à cause de ce qui était arrivé. C’était comme une colonne d’airain qui devait être, pour la postérité, un monument de la douceur de l’homme juste, et de l’iniquité des autres. Le nom était composé de telle sorte que quiconque demanderait pourquoi le lieu s’appelait ainsi, apprendrait et la vertu du patriarche, et la méchanceté de ses ennemis. Remarquez, je vous en prie, comment, ici encore, les contrariétés agrandissent la vertu de l’homme juste, qui montre en toutes choses sa douceur ; et comment