Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/347

Cette page n’a pas encore été corrigée

que le désir insatiable de les posséder nous prive de biens plus précieux ? Et à quoi bon parler de biens plus précieux, s’il faut ajouter aux malheurs présents, à la perte des biens à venir, l’éternelle torture ? Et je ne parle pas encore des péchés sans nombre, que la richesse attire et rassemble, fourberies, calomnies, rapines, fraudes. Supposons un homme, affranchi de tous ces dangers, ce qui est très-rare et très-difficile au sein de l’opulence ; supposons qu’il jouisse de ses trésors, tout seul, sans rien communiquer aux indigents, le feu éternel attend ce riche, vérité que met en toute évidence la parabole de l’Évangile, plaçant les uns à droite, les autres à gauche, disant aux premiers que le royaume des cieux leur est préparé parce qu’ils ont eu soin de l’indigence. En effet, dit le texte : Venez, vous les bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. Pourquoi ? Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger (Mt. 25,34-35) ; aux autres maintenant, c’est le feu éternel que la parole annonce : Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. (Id. 41) Lourde et terrible parole : le Seigneur, le Créateur du monde dit : J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger. (Id. 42) A ces paroles quelle âme résisterait, fut-elle de pierre ? ton Seigneur a faim, il cherche sa nourriture, et tues dans les délices ; et ce n’est pas tout ; toi, qui es dans les délices, tu le méprises, quoiqu-il ne te demande rien de précieux, rien qu’un morceau de pain, pour soulager la faim qui le tourmente. Il a froid, il marche pour se réchauffer, et toi, revêtu de tissus soyeux, tu ne le regardes même pas ; tu ne lui montres aucune compassion ; sans pitié, sans miséricorde tu poursuis ton chemin. Quelle pourrait être l’excuse de cette conduite ? Cessons donc de n’avoir que le désir unique de tout amasser, par tous les moyens ; proposons-nous plutôt de faire, de ce que nous possédons, un bon usage ; consolons l’indigence ; ne perdons pas les biens éternels, au-dessus de tout changement. Car, si le Seigneur nous a laissé ignorer notre dernier jour, c’est pour nous forcer à pratiquer sans cesse la vertu, à veiller toujours, à faire chaque jour plus d’efforts pour devenir meilleurs. En effet, dit l’Écriture : Veillez, parce que vous ne connaissez ni le jour ni l’heure. (Mt. 25,13) Or, nous faisons tout le contraire, et nous dormons d’un plus lourd sommeil que le sommeil de la nature. Car, le sommeil naturel n’opère ni bonnes ni mauvaises couvres ; mais nous dormons, nous, de l’autre sommeil ; endormis pour la vertu, éveillés pour les œuvres coupables, actifs pour le mal, paresseux pour le bien. Et nous menons cette conduite, quand nous voyons, chaque jour, un si grand nombre de vivants quitter la terre, quand nous voyons ceux qui restent exposés dans la vie présente, à tant de vicissitudes ; et cette si grande instabilité des choses humaines ne nous persuade pas la vertu, ne nous inspire pas le mépris du présent, l’amour de la vie à venir ; à ce qui n’est qu’un songe, qu’une ombre, nous ne préférons pas la vérité. En quoi les choses présentes diffèrent-elles des ombres et des songes ? Eh bien ! désormais, cessons de nous tromper nous-mêmes ; ne nous attachons plus à suivre des ombres. Il est bien tard, mais qu’importe ? appliquons-nous enfin à notre salut ; vidons nos trésors dans les mains des indigents, afin de mériter, par ce que nous aurons fait pour eux, la miséricorde du Seigneur. Puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.