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vous m’avez vu me mettre dans les rangs avec les autres ? J’ai seulement voulu voir, m’informer d’où vient à cet homme son audace excessive. Quel est donc cet étranger, qui insulte l’armée du Dieu vivant ? (Id. 26). Bientôt, quand il entend ses blasphèmes, quand il voit son arrogance, l’effroi de ceux qui étaient avec Saül, il dit : Que donnera-t-on à l’homme qui lui aura coupé la tête ? Ces paroles montraient une grande force d’âme et remplissaient tout le monde d’admiration. Quand Saül les eut entendues, il fit mander le jeune homme, qui ne savait rien, que garder ses troupeaux ; en voyant sa jeunesse, il en fit peu de cas. Mais ensuite il apprit de lui comment il s’y prenait avec les ours qui s’élançaient sur ses troupeaux. En effet, ce berger admirable avait été contraint de faire ce récit, non pas pour s’attirer une vaine gloire ; il y était forcé pour relever le courage du roi, pour que le roi ne s’arrêtât pas à l’extérieur méprisable de celui qu’il voyait, mais prît en considération la foi vivant dans le secret du cœur, et le secours d’en haut qui avait rendu ce jeune homme sans armes, ce berger, plus fort que des hommes armés, que des soldats. Donc, le roi, voyant sa confiance, voulut le revêtir de ses armes ; mais le jeune homme, couvert de ces, armes, n’avait pas la force de les porter. Ceci se passait pour montrer à tous que c’était la vertu de Dieu, qui opérait par ses mains, et qu’on ne devait pas attribuer aux armes ce qui allait arriver. En effet, comme le jeune homme était alourdi par ces armes qui gênaient la liberté de ses mouvements, il les déposa, prit sa besace de berger, des pierres, et marcha contre cette masse de chair qui ressemblait à une tour. Mais maintenant, voyez encore l’étranger qui ne regarde que sa jeunesse et qui la dédaigne, voyez-le mépriser ce juste, et pour ainsi dire se décider à ne combattre cet enfant chétif qu’avec des paroles. Quand il vit que son adversaire n’avait qu’une besace de berger, pour l’attaquer, lui, qu’il n’apportait que des pierres, il lui adressa à peu près ces paroles : Te crois-tu donc encore auprès de tes moutons, à la poursuite de quelques chiens ? tu viens contre moi comme si tu faisais la chasse à un chien. Est – ce là ton équipement pour commencer le combat contre moi ? L’expérience ne sera pas longue, qui t’apprendra que tu ne fais pas la guerre au premier venu. En faisant entendre ce grand fracas de paroles, il s’agitait, se donnait du mouvement, manœuvrait toute sa panoplie et dirigeait ses armes en-avant. C’était, pour celui-ci, la confiance dans ses armes, qui l’animait au combat ; David avait la foi en Dieu, et sa force était dans le secours d’en haut. Et d’abord, rabattant l’orgueil de l’étranger, il lui dit : tu viens à moi couvert de toutes pièces, la lance à la main, et tu penses me vaincre, par la force qui est en toi. Je viens, moi, au nom du Seigneur Dieu. A ces mots, il prend dans sa besace de berger, une pierre seulement ; à vrai dire, comme s’il s’agissait de chasser un chien tombant sur le troupeau. Avec sa fronde, il la lance, frappe à l’instant au front l’étranger, le jette par terre, et vite tirant son glaive, lui coupe la tête, la porte au roi, et la guerre est finie. Et grâce à ce berger, le roi fut sauf, et toute l’armée du roi respira. Et vous auriez vu alors une merveille incroyable. L’homme couvert de ses armes, renversé par celui qui est sans armes ; le guerrier expérimenté, jeté par terre, par celui qui ne sait rien que garder ses moutons. D’on vient ce prodige et pourquoi ? C’est que l’un marchait au combat ayant Dieu pour auxiliaire ; l’autre était dépourvu de ce secours, c’est pourquoi il est tombé sous les coups de son ennemi. Mais, voyez ici combien l’envie est insensée ! quand le roi vit ce juste, escorté de tant de gloire, quand il vit qu’on trépignait d’allégresse, quand il entendit ces cris : Saül en a vaincu mille, David en a vaincu dix mille (I R. 18,7), il ne put supporter ces paroles (bien que à faire un juste calcul elles fussent plus à son avantage qu’à l’avantage de David) ; vaincu par l’envie, il récompense par un crime celui qui est son bienfaiteur. Celui qu’il devait regarder comme son bienfaiteur, son sauveur, il cherchait à le tuer. O folie ! ô délire ! ô étrange engourdissement d’esprit ! Celui qui lui avait sauvé la vie, qui avait affranchi toute son armée de la fureur de l’étranger, de Goliath, il le regardait comme un ennemi, il oubliait le bienfait, il était vaincu par l’envie qui plongeait sa pensée dans les ténèbres, qui l’enivrait pour ainsi dire à ce point qu’il regardait son bienfaiteur comme on regarde un ennemi.
4. Voilà ce que cette passion a de funeste, elle perd d’abord celui qui l’engendre en soi. Comme le ver que produit le bois, et qui d’abord s’attaque au bois lui-même, ainsi l’envie ronge d’abord l’âme où elle prend naissance.