Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/318

Cette page n’a pas encore été corrigée

la plus forte s’empare de tout notre être, à tel point que, distraits par la plus grave, souvent nous ne sentons pas celle qui est moins dangereuse. De même, ce juste aussi, à l’aspect de la mort qui l’assiégeait, a trouvé tout le reste supportable.
Mais maintenant, gardez-vous, mes bien-aimés, en entendant ces paroles, d’accuser l’homme juste de pusillanimité, parce qu’il a craint la mort. Admirez plutôt la bonté du Créateur de tous les êtres envers nous. Cet objet si terrible pour ces hommes justes et pour ces saints, le Christ l’a rendu si misérable, que cette mort tant redoutée des anciens hommes, de ces hommes illustres par leurs vertus, pleins de confiance en Dieu, cette mort fait rire aujourd’hui de jeunes gens et de tendres vierges. La mort, en effet, n’est qu’un sommeil, qu’un voyage, qu’un passage, de la corruption à ce qui vaut bien mieux. La mort du Seigneur nous a apporté en présent l’immortalité ; en descendant aux enfers, il l’a énervée, il a réduit cette force à néant, et ce qui était autrefois terrible, épouvantable, il l’a rendu méprisable à ce point qu’on voit des personnes tressaillir de joie, s’empresser de courir pour hâter ce voyage. Voilà pourquoi le bienheureux Paul nous crie : Être dégagé de ces liens, être avec Jésus-Christ, c’est de beaucoup le meilleur. (Phil. 1,23) Mais ces opinions sur la mort ont suivi l’avènement du Christ ; il a fallu que les portes infernales, que les portes d’airain fussent brisées, que le soleil de justice brillât partout sur la terre. Dans ces anciens temps, la face de la mort était terrible ; elle remplissait d’effroi l’âme des justes. Voilà pourquoi ils se résignaient à tous les autres maux, même à ceux qui paraissaient insupportables. De là vient que ce juste, redoutant les habitants de Gérara, et séjournant parmi eux, fit passer sa femme pour sa sueur. Et de même que, lorsque Dieu lui permit de descendre en Égypte, il employa ce moyen, pour faire connaître à ces hommes pervers et endurcis la vertu du juste ; de même encore, ici, le Seigneur montre sa propre longanimité, pour que la patience de l’homme juste éclate en toutes choses, et que la bienveillance de Dieu pour lui se manifeste à tous. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes pour enlever Sara. Réfléchissez ici, je vous en prie, sur l’orage de pensées qu’essuya l’homme juste, en voyant qu’on emmenait son épouse et qu’il ne pouvait rien pour la défendre. Il supportait tout en silence, parce qu’il savait bien que Dieu, loin de l’oublier, se bâterait de le secourir. Admirons aussi l’amour de Sara, qui voulut arracher l’homme juste à la mort ; elle pouvait elle-même, en découvrant tout, échapper à un outrage certain. Mais elle supporta tout avec courage, afin de sauver son mari. Et alors fut accomplie cette parole : Ils seront deux dans une seule chair (Gen. 2,24), c’est-à-dire qu’on eût pu croire qu’ils n’étaient qu’une seule chair, tant ils avaient un mutuel souci l’un de l’autre. Leur concorde était si grande qu’on eût pu croire qu’ils n’étaient qu’un corps et qu’une âme. Écoutez, ô hommes, écoutez, 8 femmes ; celles-ci pour montrer à leurs maris un pareil amour, pour ne rien préférer à leur salut ; ceux-là, pour témoigner à leurs épouses la même affection ; pour tout faire comme s’ils n’étaient qu’une âme et qu’un corps.
3. Voilà en effet ce qui constitue la sincérité de l’union conjugale, la perfection de la concorde, la perfection de la charité qui les enchaîne l’un à l’autre. De même que le corps ne se tourne pas contre lui-même, ni l’âme contre elle-même ; ainsi l’époux et l’épouse ne doivent pas se tourner l’un contre l’autre ; il faut qu’ils soient unis. C’est alors seulement que l’abondance de tous les biens peut affluer sur eux. Où règne la concorde, là se rencontrent tous les biens : la paix, l’amour, la joie spirituelle ; ni guerre, ni combat, ni haine, ni querelle ; tous ces fléaux sont écartés ; cette racine de tous les biens, j’appelle ainsi la concorde, a tout fait disparaître. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes qui enlevèrent Sara ; mais Dieu, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech, et lui dit : Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu’elle a un mari. (Id. 2,3) Voyez la clémence de Dieu, comme il vit que le juste, par crainte de la mort, supportait courageusement que Sara fût enlevée, et que le roi la regardait comme la sœur de l’homme juste, il déclara enfin sa providence, glorifia le juste, préserva Sara d’un outrage, et le roi d’un péché. Et Dieu, dit le texte, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech. C’est justement, dit le texte, pendant le sommeil, que Dieu voulant le soustraire à l’iniquité, éclaira sa conscience, lui révéla ce qui était secret et provoqua sa crainte, en le menaçant de la mort. En effet, dit le texte : Vous serez