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comme il convient ; efforçons-nous toujours de prendre la voie la meilleure, afin d’autoriser la prière qui s’épanche pour nous. C’est ce que dit, à un autre prophète, le Seigneur de toutes les créatures : Ne voyez-vous pas ce qu’ils font ? ils font brûler la graisse, pour faire des gâteaux d une armée du ciel. (Jer. 7,17-18) Ce qui revient à dire : Vous me priez pour ceux qui ne renoncent pas à leurs péchés, qui ne sentent pas le mal dont ils sont travaillés, qui n’ont plus de sentiment. Ne voyez-vous pas leur parfait dédain ? Ne voyez-vous pas l’excès de leur délire ? Comme, insatiables d’impiété, ils ressemblent à la truie dans la fange, se vautrant dans leurs iniquités. S’ils voulaient se convertir, n’écouteraient-ils pas les exhortations ? N’est-ce pas moi, par la voix des prophètes, qui leur crie : Et après qu’elle a fait tous ses crimes, je lui ai dit : après tous vos crimes revenez à moi, et elle n’est point revenue? (Jer. 3,7) Leur demandai-je autre chose que de s’arrêter, de ne plus pécher, de ne pas pousser plus loin leurs crimes ? leur demanderais-je compte du passé, si je les voyais seulement manifester l’intention de se corriger ? Ne leur criai-je pas chaque jour : Est-ce que je veux la mort du pécheur, comme je veux qu’il se convertisse et qu’il vive ? (Ez. 18,23) Est-ce que je ne fais pas toutes choses, pour les arracher à la mort, quand je les vois égarés ? Quand je les vois convertis, est-ce que je me fais attendre ? Ne suis-je pas celui qui dit : Tu parles encore, me voici ? (Isa. 58,9) Tiennent-ils à leur propre salut, autant que j’ai le désir de voir tous les hommes sauvés, de les voir arrivés tous à la connaissance de la vérité ? (1Tim. 2,4) Vous ai-je tirés du néant pour vous perdre ? Vous ai-je, sans aucun but, préparé le royaume à venir, et des biens innombrables ? Si j’ai menacé de la gêne, n’est-ce pas parce que cette crainte me sert pour introduire les hommes dans le royaume des cieux ? Garde-toi donc, ô bienheureux prophète, de les abandonner pour m’apporter ta prière ; ne prends plus qu’un seul souci, celui de les guérir, de leur faire sentir leur infirmité, de les ramener à la santé, et tous mes biens viendront d’eux-mêmes. Et je ne me fais pas attendre et je ne suis jamais en retard, quand je vois une âme bien disposée ; je ne leur demande qu’une chose : la confession des péchés, et, c’en est fait, je ne punis pas les péchés. Est-ce donc bien lourd à porter, bien embarrassant, ce que je propose ? Si je ne savais pas qu’ils deviennent plus mauvais, quand ils ne confessent pas leurs premières fautes, je ne leur demanderais pas même cette confession ; mais, parce que je sais que l’homme s’enfonce de plus en plus dans le péché, voilà pourquoi je veux qu’ils confessent leurs premières fautes, afin que cette confession les empêche d’y retomber.
3. Donc, dans ces pensées, mes bien-aimés, réfléchissant sur la bonté du Seigneur, secouons notre engourdissement ; soyons bien attentifs à nous-mêmes ; lavons les taches de nos péchés, et hâtons-nous, ensuite, de demander l’intercession des saints. Si nous voulons être sages et vigilants, nous pourrons même par la seule vertu de nos propres prières, nous servir nous-mêmes, de la manière la plus efficace ; car notre Dieu, qui, est un Dieu de clémence, accorde moins aux autres, le priant pour nous, qu’il ne nous accorde à nous-mêmes, quand c’est nous qui le prions. Voyez l’excès de bonté ; pour peu qu’il s’aperçoive que nous, qui l’avons offensé, qui nous sommes rendus méprisables, qui n’avons plus aucun droit d’espérer en lui, nous nous réveillons un peu, nous avons, en nous, la pensée de recourir à son inépuisable clémence ; aussitôt il agrée nos prières, il nous tend la main. Nous étions étendus et gisants, il nous relève, il nous crie : Est-ce que celui qui est tombé, ne se relèvera pas ? (Jer. 8,4) Mais la réalité même des choses vous montre quel grand nombre d’hommes, priant eux-mêmes pour eux-mêmes, ont mieux obtenu ce qu’ils désiraient, que par les prières des autres. Ceci vaut la peine que nous vous montrions les personnes qui ont eu ce bonheur, afin que nous les imitions, afin que nous nous animions d’un beau zèle. Apprenons donc comment cette Chananéenne, à l’âme si cruellement tourmentée, comment cette femme, cette étrangère, à la vue du médecin des âmes, du soleil de justice, levé pour ceux qui demeurent dans les ténèbres, s’approcha de lui, pleine de ferveur, animée d’un généreux zèle ; et ce zèle ne se ralentit pas, quoique ce ne fût qu’une femme ; quoique ce fût une étrangère. Repoussant tous les obstacles, elle s’approcha, et dit : Seigneur, ayez pitié de moi ! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. (Mt. 15,22) Celui qui connaît les secrets des cœurs, garde le silence, ne lui répond pas, ne daigne pas s’entretenir avec elle, il n’a pas de pitié pour cette femme, qu’il voit si misérable, dont il entend les cris de douleur. Il diffère, parce qu’il veut rendre manifeste, aux yeux de tous, le trésor caché dans cette femme. Il savait bien qu’il y avait là une perle qu’on ne voyait pas, qu’il voulait montrer à nos regards. Voilà pourquoi il différait, ne daignant pas lui répondre ; c’était pour que le zèle de cette femme fût, pour toutes les générations à venir, un grand enseignement. Et voyez l’ineffable bonté de Dieu ; lui-même, dit le texte, ne lui répondait pas ; quant aux disciples, pleins de compassion et de bonté, ils n’osent pas dire hier ! haut donnez-lui ce qu’elle demande, ayez pitié d’elle, soyez clément pour elle ; mais que disent-ils ? Accordez-lui ce qu’elle demande parce qu’elle crie derrière nous (Id. 23) Comme s’ils disaient : délivrez-nous de cette importune ; délivrez-nous de ses cris. Que fait donc le Seigneur ? Pensez-vous, leur dit-il, que ce soit sans raison que j’ai gardé le silence, que je n’ai pas daigné lui adresser une réponse ? Écoutez : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues (Id. 24) Ignorez-vous, leur dit-il, que c’est une femme étrangère ? Ignorez-vous, que je vous ai interdit tout commerce avec les étrangers ? Pourquoi donc, sans examen, montrer votre compassion pour elle ? Considérez l’industrieuse sagesse de Dieu ; voyez comme en paraissant répondre à cette femme, il l’accablait plus que par son silence ; comme il la frappait, pour ainsi dire, d’un coup mortel, voulant ensuite la ranimer peu à peu, afin que les disciples, qui ne se doutaient de rien, comprissent la grandeur de la foi qu’elle recelait dans son âme. Eh bien ! elle ne se ralentit pas, elle ne se découragea pas, en voyant que les disciples n’avançaient à rien ; elle ne se dit pas à elle-même : s’ils n’ont pu fléchir le Seigneur, en le priant pour moi, pourquoi continuerai-je une tentative inutile, pourquoi insister ? Au contraire, embrasée du feu qui brûle, qui dévore ses entrailles, elle s’approche, elle adore, elle dit : Seigneur, assistez-moi ! (Id. 25) Mais lui refuse encore son secours à cette femme, il fait entendre une réponse plus sévère que l’autre : Il n’est pas juste, dit-il, de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. Considérez, mes bien-aimés, admirez ici la vivacité du