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et je consens à ta demande : Si je trouve cinquante justes dans la ville, je pardonnerai, à cause d’eux, à toute la contrée ; j’accorderai cette grâce, dit-il, à cinquante justes, si on les trouve ; j’accorderai, aux autres, leur grâce ; j’accomplirai ce que tu demandes.
Mais voyons cet homme juste il s’enhardit, et, reconnaissant la clémence de Dieu, lui présente, de nouveau, une autre prière en ces mots : Maintenant que j’ai commencé à parler à mon Seigneur, moi, qui ne suis que terre et que cendre. (Id. 27) Ne croyez 'pas, dit-il, Seigneur, que j’ignore qui je suis ; que je veuille dépasser la mesure ; abuser d’une si grande confiance ; je sais bien que je suis terre et cendre ; mais, de même que je sais cela, je sais, ce qui est pour moi manifeste aussi, je n’ignore pas l’abondance, la grandeur de votre clémence, la richesse de votre bonté ; je sais que vous voulez que tous les hommes soient sauvés. Car, après les avoir tirés du néant, après les avoir faits, comment voudriez-vous les perdre, n’était le grand nombre de leurs péchés ? C’est pourquoi je vous prie, et vous supplie encore : S’ils ne se trouvaient pas ait nombre de cinquante, s’ils n’étaient que quarante-cinq justes dans la ville ; est-ce que vous ne sauveriez pas la ville ? Et le Seigneur dit : Si on en trouve quarante-cinq, je ne la perdrai pas. Qui saurait dignement louer le Seigneur, le Maître de l’univers ; célébrer, comme il convient, tant de patience, tant d’indulgence ? Qui pourrait louer dignement ce bienheureux juste, qu’une telle confiance anime ? Et, dit le texte, Abraham lui dit encore  : Si on y trouve quarante justes ? Et Dieu dit : Je ne perdrai point la ville si j’y trouve quarante justes. (Id. 28, 29) Ensuite Abrabam ayant peur, pour ainsi dire, de lasser l’ineffable patience de Dieu, et craignant aussi, peut-être, que sa prière ne parût par hasard dépasser les justes bornes : Oserai-je, dit-il, Seigneur, parler encore ? Si on y trouve trente justes ? Il voit Dieu disposé à la miséricorde ; il cesse alors de diminuer graduellement ; il ne se contente pas de retirer cinq justes, il en supprime dix, et il continue ainsi son plaidoyer : Si on en trouve trente ? et le Seigneur dit : Je ne perdrai point la ville, si j’y trouve trente justes. Remarquez la constance d’Abraham ; on croirait qu’il est lui-même sous le coup de la sentence, à voir avec quelle chaleur il cherche à soustraire au châtiment le peuple de Sodome ; et il dit : Puisqu’il m’est permis de parler à mon Seigneur, si on y trouve vingt justes ?et Dieu dit : Je ne perdrai pas la ville, si j’y trouve vingt justes. (Id. 30, 31) Au-dessus de tout discours, au-dessus de toute pensée, est la bonté du Seigneur. Qui de nous, au milieu des vices sans nombre qui le travaillent, voudrait, quand il condamne le prochain, qui lui ressemble, user d’une telle indulgence, d’une si affectueuse douceur ?
5. Cependant ce juste, qui voit que le Seigneur est riche en bonté, ne s’arrête pas là ; il recommence à parler : Seigneur, si je vous parlais encore une fois ? (Id. 32) C’est qu’il voyait une patience ineffable, et il avait peur de provoquer contre lui l’indignation de Celui qu’il implorait ; donc il dit : Seigneur, si je… je suis téméraire ? Je montre, peut-être, trop peu de respect ? Je mérite, peut-être, une condamnation si je parle encore une fois ? Vous qui m’avez montré tant de bonté, encore une seule prière ; accueillez-la : Si, dans cette ville, on en trouve dix ? – et Dieu dit : je ne perdrai pas la ville si j’en trouve dix. Et, comme il avait commencé par dire : Si je vous parlais encore une fois : Le Seigneur, dit le texte, s’en alla après avoir cessé de parler à Abraham, et Abraham retourna, chez lui. (Id. 33) Voyez-vous la complaisance du Seigneur, à s’abaisser à notre infirmité ? Voyez-vous la charité de l’homme juste ? Comprenez-vous la force de ceux qui marchent dans la voie de la vertu ? Si on trouve, dit-il, dix justes, par égard pour eux j’accorde, à tous, la rémission de leurs péchés. Avais-je tort de vous dire que tout cela se faisait, pour enlever à l’impudence des contradicteurs tout prétexte dans l’avenir ? Il ne manque pas en effet d’insensés, à la langue sans frein, pour critiquer le Seigneur, et qui osent dire : Pourquoi cet incendie de Sodome ? Si on les avait attendus, peut-être se seraient-ils convertis. Voilà pourquoi l’Écriture nous montre le débordement de la corruption, et, dans une si grande multitude, une, telle pénurie de vertu qu’il fallait un autre déluge, aussi énergique que le premier qui avait saisi la terre. Mais la promesse de Dieu est formelle ; un supplice de ce genre ne sera plus infligé. Voilà pourquoi Dieu invente un autre mode de châtiment, qui lui sert, à la fois, de punition pour ces infâmes, et d’éternel enseignement pour tous les âges à venir. Comme ils avaient bouleversé les lois de la nature, inventé des commerces