Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas être condamnés seulement par ouï dire ; que la sentence ne doit être portée qu’après que la preuve a été faite. Écoutons cette leçon, tous tant que nous sommes. Elle ne regarde pas seulement les juges qui siègent sur leur tribunal ; ils ne sont pas seuls soumis à cette loi, mais personne parmi nous, ne doit, sur une accusation sans preuve, condamner le prochain. Voilà pourquoi le bienheureux Moïse, inspiré de l’Esprit-Saint, nous donne cet avertissement : Vous ne recevrez point une parole vaine. (Ex. 23,1) Et le bienheureux Paul écrivait : Pourquoi juges-tu ton frère ? (Rom. 14, 10) ; et le Christ, en donnant ses préceptes à ses disciples, et faisant la leçon à la multitude des Juifs, à leurs scribes et à leurs pharisiens Ne jugez point, leur disait-il, afin que vous ne soyez point jugés. (Mt. 7, 1) Pourquoi donc, dit-il, avant le temps, te saisis-tu de la prérogative du juge ? Pourquoi fais-tu venir d’avance le jour de la suprême épouvante ? Tu veux exercer les fonctions de juge ? Sois donc ton juge à toi-même, le juge de tes fautes. Personne ne t’en empêche ; par là tu corrigeras tes péchés, et il n’y aura pour toi aucun inconvénient. Que si, négligeant tes propres affaires, tu trônes et juges les autres, c’est que tu ne sens pas que tu rends plus lourd, pour toi, le fardeau de tes péchés. C’est pourquoi, je vous en prie, rejetons bien loin de nous l’habitude de condamner les autres. Sans doute vous n’êtes pas officiellement un juge ; mais vous vous êtes fait juge par la pensée ; et vous êtes tombé sous le coup du péché, lorsque, sans aucune preuve, et souvent sur un simple soupçon et sur une accusation sans valeur, vous portez une condamnation. Aussi, le bienheureux David s’écriait : Je persécutais celui qui médisait en secret de son prochain. (Ps. 100,5)
4. Voyez-vous la perfection de la vertu ? non seulement il n’accueillait pas les paroles, mais il chassait loin de lui celui qui voulait médire de son frère. Eh bien ! donc, nous aussi, si nous voulons diminuer le nombre de nos péchés, observons ; avant toutes choses, cette règle ; ne condamnons pas nos frères, n’accueillons pas leurs détracteurs, ou plutôt, imitant le Prophète, chassons-les, montrons-leur toute notre aversion. C’est là, je crois, ce qu’insinuait le prophète Moïse, en disant : Vous ne recevrez point une parole vaine. Voilà aussi pourquoi le Seigneur, en cette occasion, a employé un langage approprié à la grossièreté de notre esprit, et cela pour le plus grand profit de nos âmes. Il dit en effet : Je descendrai et je verrai. Pourquoi donc ? il avait besoin de connaître ? Il ne savait pas la grandeur des péchés ? ii ignorait que la corruption était impossible à corriger ? Loin de nous cette pensée. Mais, c’est comme une justification qu’il apporte à ceux qui auraient plus tard l’audace de l’accuser. II montre l’obstination dans le vice, le manque absolu de vertu, la grandeur de sa patience. Peut-être y a-t-il encore un autre dessein : il veut fournir, au juste, l’occasion de faire paraître sa miséricorde, sa bonté, son affection pour les autres hommes. Les anges en effet, je vous l’ai dit, étaient partis pour Sodome ; le patriarche était resté en la présence du Seigneur : Et s’approchant, dit le texte, Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ? (Id. 23) O confiance de l’homme juste ! Disons mieux, ô grandeur de sa miséricorde ! c’est comme un homme que le vin de la miséricorde enivre, et qui ne sait ce qu’il dit. Et la divine Écriture, nous montrant l’excès de sa crainte, le tremblement avec lequel il verse ses prières, dit : Et s’approchant, Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste avec l’impie ? Que faites-vous, ô bienheureux patriarche ? est-ce que le Seigneur a besoin d’être prié par vous, pour ne pas commettre une injustice ? En vérité, gardons-nous de telles pensées. Quant à lui, il ne parle pas comme si le Seigneur était capable d’une telle action, mais c’est qu’il n’osait pas plaider ouvertement pour le fils de son frère. Il fait donc entendre, dans l’intérêt de tous, une prière commune, parce qu’il veut sauver celui-ci, avec les autres ; avec celui-ci, sauver aussi les autres ; et il commence son plaidoyer, et il dit : S’il y a cinquante justes dans cette ville, est-ce que vous les perdrez ? Ne pardonnerez-vous pas à la ville entière, à cause de cinquante justes, si on les y trouve ? Non, sans doute, vous êtes bien éloigné d’agir de la sorte ; de perdre le juste avec l’impie ; de confondre les bons et les méchants. Non, sans doute : vous, qui jugez toute la terre, vous ne feriez pas un jugement ? (Gen. 18,24-25) Voyez comme cette prière révèle la piété, l’amour de Dieu ; il reconnaît celui qui est le juge de la terre entière, et il le prie, pour que le juste ne périsse pas avec l’injuste. Alors le Seigneur, plein de douceur et de bonté, accepte sa demande et lui dit : Je fais ce que tu as dit,