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Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant toi, ne passe point devant ton serviteur. Comment pourrait-on louer dignement ce juste ? et comment des milliers de bouches suffiraient-elles pour faire son éloge ? Le mot de Seigneur n’a rien d’extraordinaire ; mais dire : Si j’ai trouvé grâce devant toi, voilà qui est étrange. Il leur dit : C’est moi qui suis l’obligé et non le bienfaiteur. Telle est la véritable hospitalité : elle a tant d’ardeur, qu’elle croit recevoir plutôt que donner. Que personne ne songe à diminuer la vertu du juste, et ne suppose qu’en parlant ainsi il savait qui étaient ces voyageurs : en effet, s’il l’avait su, ces paroles, comme on l’a dit souvent, n’auraient eu rien d’extraordinaire ; mais, ce qui les rend extraordinaires et admirables, c’est qu’il croyait les adresser à des hommes.
Ne vous étonnez pas qu’en voyant trois voyageurs, le juste parle comme à un seul et dise : Seigneur. C’est sans doute que l’un d’eux paraissait supérieur aux autres, et c’est à lui qu’il s’adresse. Ensuite il continue en parlant d’une manière plus générale, et dit : Qu’on prenne de l’eau et qu’on lave vos pieds ; et aussi : Rafraîchissez-vous sous cet arbre, vous mangerez du pain et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Vous voyez que sans savoir qui ils sont, il leur parle comme à des voyageurs ordinaires, les engage tous ensemble et s’appelle deux fois leur serviteur. Voyez aussi comme il les prévient de la simplicité de sa table, ou plutôt de son abondance. Qu’on prenne de l’eau et qu’on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre. Comme vous êtes fatigués et que vous avez supporté une grande chaleur, daignez entrer chez votre serviteur. Voilà ce que je puis faire pour vous. Je peux seulement vous procurer de l’eau pour laver vos pieds pendant que vous vous reposerez sous cet arbre. Ensuite il leur donne une idée de sa table. Ne croyez pas, dit-il, qu’elle soit splendide, qu’il y ait une foule de mets et d’assaisonnements : vous mangerez du pain, et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur.
5. Voyez de combien de manières il cherche à retenir ces voyageurs par ses actions, ses paroles, et tous ses efforts. D’abord il se prosterne devant eux, ensuite il les appelle seigneurs et lui-même serviteur : puis il leur dit ce qu’il va faire pour eux, mais sans se vanter et en montrant que c’est peu de chose. J’ai, dit-il, de l’eau pour laver vos pieds, du pain et un abri sous cet arbre. Ne dédaignez pas ma tente, ne méprisez pas ma vieillesse, ne repoussez pas ma demande. Je sais quelle fatigue vous avez subie, je devine quelle chaleur vous avez éprouvée ; aussi je veux vous soulager un peu. Le père le plus tendre montre-t-il à son fils autant de bonté que le patriarche en montrait à : des étrangers inconnus et qu’il n’avait jamais vus. Comme il fit preuve de beaucoup de zèle et d’activité, il réussit dans sa poursuite et parvint à prendre sa proie dans ses filets. Et ils dirent : Nous ferons comme tu as dit. Le vieillard se trouva rajeuni. J’ai, dit-il, un trésor sous la main ; j’ai gagné une fortune, je ne songe plus à ma vieillesse. Voyez comme il se réjouit d’une pareille circonstance ; il saute presque de joie et il est aussi heureux que s’il tenait dans ses mains toutes les richesses du monde. Abraham s’en alla en hâte dans la tente. Quand il allait les guetter, l’Écriture sainte nous montre sa joie et son empressement, en nous disant : Il courut à leur rencontre. Maintenant qu’il a vu ces voyageurs et' qu’il a obtenu ce qu’il désirait, son ardeur ne s’affaiblit pas ; elle devient, au contraire, plus ardente quand il est certain d’avoir réussi. Il nous arrive souvent d’être tout de feu en commençant ; mais, quand l’affaire est en train, nous nous relâchons. Tel n’était pas le juste. Que fait-il ? Il se hâte et s’empresse de nouveau ; tout vieux qu’il est, il court dans la tente chercher Sarra, et lui dit : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Voyez comment il prend Sarra pour complice de sa chasse, et comment il lui apprend à imiter sa vertu. Il l’excite à faire promptement son devoir, et lui dit : Dépêche-toi. Une heureuse aventure nous est survenue ; ne perdons pas cette bonne occasion : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Comme il savait l’importance d’une œuvre de cette nature, il voulait faire partager la récompense à la compagne de sa vie. Pourquoi, dites-moi, ne donna-t-il cet ordre à aucune de ses servantes ; mais à sa femme, si avancée en âge, car elle avait quatre-vingt-dix ans ? Du reste, Sarra ne résiste pas à cet ordre et montr6la même joie. Maris et femmes, retenez bien cela. Que les maris habituent leurs femmes, s’il se présente quelque gain spirituel, à ne pas agir par leurs domestiques, mais à tout faire par elles-mêmes ; que les femmes s’empressent à aider leurs maris dans leurs