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n’en perdrons rien, car nous ne dépensons que l’argent qui nous est confié ; et nous agis sons au nom du Seigneur. C’est aux auditeurs à rendre leurs comptes à celui qui leur redemandera ce dépôt avec usure. Mais nous ne songeons pas seulement à éviter tout reproche en faisant ce qui dépend de nous ; notre désir est aussi de vous voir profiter de ce dépôt pour vous éviter la punition du serviteur qui avait caché son talent, et qui, loin de multiplier l’argent de son maître, l’avait enfoui en terre. Tels sont ceux qui écoutent ces instructions (car c’est1à ce que signifie le talent d’argent), et qui ne songent pas à le faire fructifier et multiplier. On me dira peut-être que cette parabole des talents regarde les prédicateurs : j’en conviens. Mais si nous l’examinons avec attention, nous observerons que les prédicateurs sont seulement responsables du paiement ; quant aux auditeurs, ils doivent non seulement conserver l’argent, mais le faire valoir. Pour vous en convaincre, il faut vous rappeler cette parabole : Le maître de maison, en partant, appela ses serviteurs et leur donna à l’un cinq talents, à l’autre deux, à un troisième un seul. Longtemps après, il revint, et ses serviteurs parurent devant lui : celui qui avait reçu cinq talents, s’approcha en disant Seigneur, tu m’avais confié cinq talents ; en voici cinq autres que j’ai gagnés. (Mt. 25,14-15, 19-20) Voilà un serviteur honnête ; aussi le Seigneur le récompense-t-il abondamment. Que dit-il ? Allons, bon et loyal serviteur : comme tu as été fidèle pour une petite somme, je t’en confierai de plus grandes entre dans la joie de ton maître. (Mt. 25,21) Puisque tu as montré ta probité à propos d’un premier dépôt, tu mérites qu’on t’en remette un plus considérable. Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi, disant : ne m’as-tu pas confié deux talents ? En voici deux autres que je t’ai gagnés ! (Id. 22) Celui-ci avait aussi bien administré l’argent de son maître, car il reçoit la même récompense que le premier. Et pourquoi celui qui rapporte deux talents a-t-il le même mérite que celui qui en a fait gagner cinq ? C’est avec justice ; car si l’un donne plus et l’autre moins, cela ne tient pas à l’inégalité du zèle déployé de part et d’autre, mais à la différence des sommes confiées. Quant au soin, tous deux ont été égaux ; aussi reçoivent-ils la même récompense.
2. Le troisième avait agi tout indifféremment. Qu’avait-il fait ? Il s’approcha en disant : Je sais que tu es un homme dur, moissonnant où tu n’as pas semé et recueillant où tu n’as rien mis : aussi, comme je te craignais, je suis allé cacher ton argent dans la terre. Voilà ce qui est à toi. (Id. 5,24, 25) O méchant serviteur ! ô comble d’ingratitude ! au lieu d’avoir fait fructifier le talent, il n’apporte qu’une accusation. C’est l’effet de la perversité : elle obscurcit le jugement et entraîne dans le précipice celui qui s’est une fois écarté de la bonne route. Tout cela regarde les prédicateurs qui ne doivent pas enfouir leur dépôt, ruais au contraire mettre tout leur zèle à l’offrir à leurs auditeurs : ruais la suite va vous apprendre, mes bien-aimés, que les auditeurs aussi ont, des comptes à rendre et qu’on leur demande non seulement le capital, ruais encore les intérêts ; c’est ce que fait voir l’indignation même du maître contre le serviteur. Que lui dit-il ? Méchant serviteur ! (Id. 5,26) Voilà une colère terrible et des menaces bien capables d’épouvanter. Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je recueille où je n’ai rien mis : tu devais donc placer raton argent entre les mains des banquiers, et, en venant, je l’aurais retrouvé avec usure. Cet argent signifie les discours édifiants, et les banquiers représentent les auditeurs qui les écoutent. Tu n’avais, dit le maître au serviteur, qu’à leur remettre l’argent ; ensuite, c’était à moi à leur redemander, non seulement cet argent remis, mais aussi l’intérêt qu’il aurait rapporté. Voyez, mes bien-aimés, combien ces paroles sont terribles. Que pourront dire ceux qui auront perdu le capital, lorsqu’on leur redemandera même des intérêts ?
Voyez la bonté du Seigneur. Dans les affaires matérielles il a défendu que l’argent rapportât de l’intérêt. Pourquoi, par quelle raison ? Parce que c’est une convention fâcheuse aux deux parties. Le débiteur est ruiné, et le gain du créancier ne fait qu’accroître le fardeau de ses péchés. Voilà pourquoi, dès l’origine, Dieu a donné aux Juifs grossiers ce précepte : Tu ne prendras pas d’intérêt à ton père et à ton frère. (Deut. 23,19). Quelle excuse peuvent donc avoir ceux qui sont plus inhumains que les Juifs, et qui, après avoir reçu du Seigneur tant de grâces et de bienfaits, ne s’élèvent pas si haut que ceux qui vivaient sous l’ancienne loi, ou, pour mieux dire, descendent plus bas ?