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Viens vers ma servante, elle, qui l’avait entraîné à cette liaison, change tout à coup pour dire  : Elle m’insulte à cause de toi. O femme ! est-ce lui qui a couru après ta servante ? ses désirs l’ont-ils entraîné à cette union ? C’est pour suivre tes avis et tés conseils qu’il a tout fait. Quelle injure t’a donc fait ton mari ? J’ai mis, dis-tu, ma servante dans tes bras. Si tu avoues que tu la lui as donnée et qu’il ne l’a pas prise de lui-même, que parles-tu d’injure ? Oui, disait-elle, je té l’ai donnée, mais en voyant son orgueil tu devais réprimer son insolence. Voyant qu’elle était grosse, elle m’a méprisée en face ; que Dieu juge entre toi et moi ! Ce sont là des paroles de femme et qui tiennent à la faiblesse de sa nature ; c’est comme si elle lui disait : j’ai voulu te consoler de ne pas avoir d’enfants, je suis allée jusqu’à mettre ma servante dans tes bras pour qu’elle me remplaçât. Maintenant, voyant qu’elle est fière de sa grossesse et qu’elle s’en enorgueillit outre mesure, tu aurais dû réprimer et punir ses insolences à mon égard, et tu ne l’as pas fait. Tu sembles oublier toute notre vie passée, et me mépriser toi-même, moi qui ai vécu tant d’années avec toi et qui ai ramené d’Égypte cette servante qui est à moi et qui me dédaigne. Que Dieu juge entre toi et moi ! Songe, dit-elle, à tout ce que j’ai fait pour te consoler ; afin de te rendre père dans ta vieillesse, j’ai élevé ma servante jusqu’à moi : et toi, voyant son ingratitude, tu ne m’as pas vengée, tu n’as rien fait pour me récompenser de ma bonne volonté à ton égard. Que Dieu juge entre toi et moi! Lui qui connaît les secrets des cœurs sera notre juge, j’ai mis ta satisfaction au-dessus de tous mes désirs, j’ai conduit ma servante dans ton lit : et toi, tu n’en as conçu aucune reconnaissance, tu permets à cette servante de se révolter contre ma bonté, et tu ne réprimes pas son audace, et tu ne punis point son ingratitude !
Que fit alors cet homme inébranlable, cet invincible athlète de Dieu, qui trouvait partout l’occasion de mériter de nouvelles couronnes ? Il montre encore ici sa vertu et dit à Sara : Voici ta servante dans tes mains : fais-en ce que tu voudras. Le juste montre ici beaucoup de sagesse et une extrême patience. non seulement il ne se fâche point des paroles de Sara, mais il lui répond avec douceur et lui dit : Tu me crois la cause de l’injure que tu as reçue et tu penses que je suis d’accord avec ta servante, parce qu’elle a une fois partagé mon lit : apprends d’abord que je n’aurais jamais consenti à l’y recevoir, si ce n’avait été par complaisance pour toi : afin que tu en sois convaincue, je la remets dans tes mains ; fais-en ce que tu voudras. Ta puissance est-elle diminuée ? as-tu perdu ton autorité sur cette femme ? Malgré les rapports que j’ai eus avec elle, tu en es toujours maîtresse, la voilà entre tes mains, tu peux la punir, la châtier, la gourmander : fais-en ce que tu voudras et ce qu’il te plaira. Seulement ne t’irrite pas et une m’attribue point ses insolences. Comme ce n’est point la passion qui m’a porté vers elle, je n’y prends pas assez d’intérêt pour la défendre quand elle a tort. Je sais le respect qui t’est dû, je n’ignore pas l’ingratitude des domestiques. Cela ne m’inquiète ni ne me regarde, je n’ai qu’un désir, celui de te voir heureuse, tranquille, comblée d’honneur et délivrée de tout chagrin.
5. Voilà une véritable union, un mari prudent qui né discute pas trop rigoureusement les paroles de sa femme, mais condescend à la faiblesse de son sexe, songeant seulement à lui épargner des chagrins et à vivre avec elle en paix et en bonne intelligence. Que les maris y fassent attention pour imiter la douceur du juste, pour qu’ils aient envers leurs femmes autant de considération et de respect et qu’ils soient pleins d’indulgence pour ces êtres faibles, afin de resserrer les liens de la concorde. La véritable richesse, l’opulence inestimable consistent à ce que le mari et la femme soient d’accord et unis comme s’ils n’étaient qu’un seul corps. Ils seront deux dans une même chair. (Gen. 2,24) De pareils époux, même dans la pauvreté, même dans la position la plus humble, sont les plus heureux de tous, ils goûtent le vrai plaisir et vivent dans une tranquillité constante. Ceux, au contraire, qui n’ont pas le même bonheur, mais souffrent de la jalousie et perdent les avantages de la paix, ceux-là, malgré d’immenses richesses, une table somptueuse, la noblesse et l’illustration, sont les plus malheureux des hommes ; tous les jours s’élèvent entre eux des orages et des tempêtes, ils se suspectent mutuellement et ne goûtent aucun plaisir : une guerre intérieure trouble tout chez eux et les remplit d’amertume. Ici, rien de pareil ; le patriarche calma par sa douceur la colère de la maîtresse et, en lui remettant sa servante, ramena la paix à la maison. Sara la maltraita et elle s’enfuit de devant elle. Quand la maîtresse eut, châtié son