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pays ne pouvait pas les contenir à cause de leurs grandes richesses (Gen. 13,6) ; aussi une rixe s’éleva entre les bergers de Loth et ceux d’Abram. Alors le juste montrant la douceur de son âme et l’excès de sa sagesse, appela Loth et lui dit : Qu’il n’y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, car nous sommes frères, c’est-à-dire, rien de meilleur que la paix, rien de pire que les disputes. Pour supprimer toute cause de contestation, choisis le pays que tu voudras et laisse-moi l’autre, afin d’écarter de nous toute querelle, toute contention. Voyez quelle vertu ! Il laisse le choix au plus jeune et se contente du rebut. Mais, après cela, voyez quelle récompense il reçoit. Aussitôt après, Dieu lui dit, quand il s’est séparé de Loth : Lève les yeux et considère cette terre de côté et d’autre ; toute cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi et à ta race pour toujours. Voyez quelles largesses lui sont prodiguées pour le désintéressement qu’il a montré envers son neveu ; ce qu’il a abandonné était peu de choix, ce qu’il obtient est bien plus considérable.
Au contraire, celui qui avait choisi à son gré, se trouva bientôt en danger : non seulement son choix ne lui profita pas, mais il se vit tout à coup captif sans feu ni lieu ; tout cela lui apprit à apprécier la vertu du juste, et à ne plus se conduire de même qu’auparavant. En effet, après qu’il eut commencé à habiter Sodome, il s’éleva une guerre terrible ; les rois des nations voisines se levèrent avec de grandes forces, dévastèrent tout le pays, massacrèrent les géants, expulsèrent les Amalécites, mirent en fuite le roi de Sodome et celui de Gomorrhe, envahirent toutes les montagnes, enlevèrent la cavalerie du roi de Sodome, et s’en allèrent en emmenant Loth captif, avec les femmes et tout le butin.
3. Mais admirez encore ici toute la providence de Dieu. Voulant délivrer Loth et illustrer le patriarche, il excite celui-ci à secourir son neveu. Sachant ce qui se passait, le juste, avec ses domestiques, fond sur les rois, les défait sans peine et ramène Loth et les femmes, ainsi que la cavalerie du roi. Des trophées si brillants montraient à tous que Dieu le protégeait, car il n’avait pu remporter une pareille victoire avec ses propres forces, mais appuyé sur le secours d’en haut. Du reste, le patriarche cherchait encore à faire connaître la vraie religion aux gens de Sodome, comme on le voit par les paroles qu’il dit à leur roi. Le roi vient au-devant de lui pour lui rendre grâce et lui offrir les chevaux en se contentant des hommes : voyez avec quelle grandeur d’âme le juste lui prouve sa sagesse, lui montre qu’il est au-dessus de tous ces présents et lui fait connaître la vraie religion. Il ne lui dit pas simplement : je ne consens à rien recevoir de toi ; je n’ai pas besoin d’un pareil paiement ; mais il dit : J’étends ma main, vers le Très-Haut, ce qui revient à dire : ce ne sont pas des dieux que tu adores, mais des pierres et du bois : il n’est qu’un Dieu, maître de l’univers. Il a créé le ciel et la terre : je le prends à témoin que je ne prendrai rien de toi depuis un cordon jusqu’à une courroie de chaussure, afin que tu ne puisses croire due c’est pour cela que j’ai tiré cette vengeance, ni dire que tu m’as enrichi. Car celui qui m’a donné la victoire et a triomphé avec moi, c’est lui qui me procure d’abondantes richesses.
Vous voyez que, si le roi avait voulu, il aurait profité des paroles du patriarche. Il avait appris à ne plus se fier à sa force, mais à connaître l’Auteur de toutes choses, à rire des dieux faits par la main des hommes et à n’adorer que le Dieu de l’univers, le Créateur de toutes choses, la source de tout bien. L’exemple du patriarche lui dévoilait toutes les vertus. Celui-ci, pour ne pas laisser croire qu’il refusât toutes ces offres par orgueil et arrogance, disait au roi : Je ne prendrai rien, car je n’ai besoin de rien ; je ne tiens pas à ce que d’autres augmentent ma richesse je laisserai seulement ceux qui ont partagé mes dangers prendre leur part, afin qu’ils aient quelque récompense de leurs peines. Voilà ce que le juste répondit au roi de Sodome.
Lorsque Melchisédech, roi de Salem, lui offrit le pain et le vin, ( c’était, dit l’Écriture, un prêtre du Très-Haut) le patriarche accepta cette offre, ci, en reconnaissance de sa bénédiction, lui donna la dîme du butin ; en effet, Melchisédech lui avait dit : Abram est béni par le Très-Haut qui a livré tes ennemis dans tes mains. Voyez comme le juste montre partout sa piété, du roi de Sodome il ne voulait rien recevoir, depuis un cordon jusqu’à une courroie ; mais il accepte l’offrande de Melchisédech, et lui donne en échange ce dont il peut disposer, ce qui nous montre qu’il faut avoir du discernement et ne pas recevoir de toutes mains. Les dons du roi prouvaient sa reconnaissance,