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un frère a-t-il agi avec son frère jumeau comme le patriarche avec le fils de son frère ? S’il avait commencé par choisir pour lui, et qu’ensuite il eût abandonné le reste à son neveu, n’aurait-ce pas été déjà un grand bienfait ? Mais il voulait donner un grand exemple de vertu et satisfaire les désirs du jeune homme, pour ne lui laisser aucun regret de cette séparation ; aussi en lui donnant toute facilité, il lui dit : Toute la terre est devant toi, sépare-toi de moi, et choisis la terre que tu voudras. Son neveu, ainsi comblé de ses bontés, aurait dû lui rendre la pareille et l’engager à choisir lui-même. En effet, il est naturel à tous les hommes, quand ils voient que leurs adversaires s’efforcent d’arriver au premier rang, de ne pas vouloir rester au-dessous ; mais si quelqu’un paraît céder et semble, par la modestie de son langage, nous laisser tout pouvoir, nous abandonnons nous-mêmes nos prétentions comme par égard pour tant de douceur, et nous lui laissons à notre tour tout pouvoir, quand même nous discuterions avec un inférieur. Voilà donc ce que Loth aurait dû faire avec le patriarche Noé ; mais comme il était plus jeune et plus ambitieux, il accepta l’offre qu’on lui faisait et il fit son choix.
Loth, levant les yeux, vit toute la plaine du Jourdain, qui était, avant que Dieu eût détruit Sodome et Gomorrhe, arrosée comme le jardin de Dieu et comme l’Égypte, jusqu’à Zogora. Loth choisit toute la terre autour du Jourdain et s’en alla vers l’Orient, et les deux frères furent séparés l’un de l’autre. Vous avez vu quelle était la vertu du juste ; il ne laisse pas même pousser la racine du mal, mais dès qu’elle paraît il l’arrache et la détruit ; tout cela avec beaucoup de douceur, en montrant qu’il méprisait tout excepté la vertu, et en déclarant à tous qu’il préférait la paix et la concorde à toutes les richesses. Pour que personne ne pût accuser le juste d’agir mal à l’égard de Loth en refusant d’habiter avec un homme qu’il avait fait sortir de sa maison et de son pays, pour que personne ne crût qu’il prenait ce parti par inimitié plutôt que, par amour pour la paix, il lui permit de choisir et ne trouva pas mauvais que celui-ci profitât de la permission, afin que tout le monde pût comprendre qu’il n’avait pas d’autre but que la paix et la charité ! Du reste, il se préparait encore un autre mystère, également instructif, et qui devait, par les événements eux-mêmes, prouver à Loth qu’il s’était trompé dans son choix, montrer aux gens de Sodome la vertu de Loth et accomplir, après cette séparation, la promesse faite au patriarche : Je te donnerai cette terre, à toi et à ta race ; c’est ce que nous verrons bientôt et que l’Écriture sainte nous éclaircira.
Et Abram, dit-elle, habita la terre de Chanaan. Loth alla dans la ville, sur le fleuve, et mit sa tente parmi les Sodomites. Les gens de Sodome étaient extrêmement pervers et pécheurs en face de Dieu. Vous voyez que Loth considérait seulement la nature de la terre, sans s’inquiéter de la perversité des habitants. Cependant, quel bien peut-on attendre, dites-moi, même dans un pays riche et fertile, si les habitants ont des mœurs infâmes ? Au contraire, quel mal peut-on craindre, même dans un désert stérile, si les habitants sont vertueux ? Le premier de tous les biens est la bonté des habitants. Mais Loth ne regarda qu’une chose, la fertilité de la terre. Or, l’Écriture sainte, voulant nous indiquer tout ce qu’il y avait de mauvais chez ce peuple, nous dit : Les gens de Sodome étaient extrêmement pervers et pécheurs en face de Dieu. non seulement pervers, mais pécheurs, et non seulement pécheurs, mais encore en face de Dieu, c’est-à-dire que leurs péchés étaient innombrables et leur iniquité immense ; aussi elle ajoute : extrêmement pécheurs en face de Dieu. Voyez-vous l’étendue de leur méchanceté ? Voyez-vous le danger qu’il y a à choisir légèrement et à ne pas considérer ce qui convient ? Voyez-vous enfin combien il est avantageux d’être modéré, de céder la première place et de se contenter de la seconde ? Nous reconnaîtrons par la suite de ces instructions que celui qui avait choisi le premier n’en a retiré aucun profit, et que celui qui a pris la dernière part a vu sa prospérité s’accroître de jour en jour, que ses richesses se sont augmentées de tous côtés et que toute la terre a eu les yeux sur lui.
5. Mais, pour ne pas prolonger cette explication, je m’arrête ici et je la continuerai dans le prochain discours, en vous suppliant d’imiter le patriarche et de ne jamais désirer la première place. Obéissez à saint Paul qui nous dit : Honorez-vous les uns les autres (Rom. 12,10), afin d’être supérieurs à vous-mêmes ; mais cherchez à être toujours au dernier rang. En effet, c’est là ce qui nous élève au premier, comme le dit le Christ : Celui qui s’abaisse sera