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ait été accomplie par un autre que par vous, cependant vous y avez participé, non seulement parce que vous y avez applaudi, croyant que votre puissance et vos richesses s’en augmenteraient, mais parce que vous n’avez pas empêché de commettre ces injustices. Car celui qui peut empêcher une injustice et qui ne le fait pas est aussi coupable que celui qui la commet.
Ainsi, je vous en supplie, ne nous faisons point illusion à nous-mêmes, mais évitons nous-mêmes les rapines et les fraudes, et habituons nos serviteurs à ne rien faire de semblable. En effet, leurs fautes ne nous laissent point innocents, mais nous rendent, au contraire, plus coupables ; c’est pour nous plaire qu’ils compromettent leur salut et qu’ils sont audacieux dans leurs méfaits : aussi nous entraînent-ils dans leur perte. Au contraire, si nous voulons être vigilants et attentifs, nous éviterons ces cruelles conséquences en les détournant de leurs mauvais desseins. N’usez donc pas de ces excuses frivoles : cela ne me regarde pas. Ai-je rien dérobé ? Je ne sais rien ; c’est la faute d’un autre, je ne m’en suis pas mêlé. Ce sont là des prétextes et du verbiage. Si vous voulez prouver que vous n’avez trempé en rien dans cette iniquité, que vous n’avez pas favorisé cette œuvre de spoliation, revenez sur ce qui s’est fait, donnez satisfaction à celui qui a été dépouillé, rendez ce qu’on a pris. Alors vous serez à l’abri de tout reproche, vous donnerez une leçon salutaire à celui qui a commis la faute, en lui montrant qu’il a agi contre vos intentions, et vous sauverez la victime du désespoir et de la ruine.
Qu’il n’y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, parce que nous sommes frères. Voyez quelle douceur, quelle bonté ! Écoutez la suite, afin de savoir jusqu’où elles pouvaient aller. Toute la terre est devant toi ; sépare-toi de moi : si tu vas à droite, j’irai à gauche ; si tu vas à gauche, j’irai à droite. Voyez quelle modération, quel excès d’abnégation chez le juste ! Mais avant tout, mes bien-aimés, considérez quelles sont les suites funestes des richesses et comme elles donnent facilement naissance à la discorde ! Ses troupeaux s’étaient multipliés, ainsi que tous ses biens, et tout à coup la concorde est rompue : la paix et les liens de l’amitié font place aux querelles et à la haine. En effet, où l’on discute du tien et du mien, là se trouvent les querelles et la haine : là où l’on n’y songe pas sont la paix et la concorde. Pour vous en assurer, écoutez ce que dit saint Luc à propos des nouveaux convertis : Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme. (Act. 4,32) Ce n’est point qu’ils n’eussent qu’une seule âme, puisqu’ils avaient des corps différents, mais c’est pour nous montrer combien leur concorde était étroite. Si le juste n’avait pas eu beaucoup de : patience et de sagesse, il se serait fâché et aurait dit à Loth : Quelle est cette extravagance ? Tes serviteurs ont osé ouvrir la bouche contre ceux qui exécutaient mes ordres ? Ils n’ont donc pas songé à la différence qu’il y a entre nous ? D’où te vient l’abondance dont tu jouis ? ne m’en es-tu pas redevable ? N’est-ce pas moi qui t’ai présenté aux yeux des hommes, qui ai été tout pour toi, qui t’ai tenu lieu de père ? Et voilà comment tu me récompenses de mes bienfaits 1 Est-ce là ce que je devais attendre en t’emmenant partout avec moi ? A défaut de reconnaissance, n’aurais-tu pas dû respecter ma vieillesse et mes cheveux blancs ? Mais tu as laissé tes bergers attaquer les miens, sans réfléchir que ces insultes retombent sur moi, et tu es responsable de ce que font tes serviteurs.
4. Mais il ne conçut même pas une seule de ces pensées ; il les écarta toutes sans songer à autre chose qu’à éteindre l’incendie que cette querelle devait faire naître et à se séparer à l’amiable. Toute la terre, dit-il, n’est-elle pas devant toi ? Sépare-toi de moi ; si tu vas â gauche, j’irai à droite ; si tu vas à droite, j’irai à gauche. Vous voyez quelle est la douceur du juste. Il prouve par ses actions qu’il n’agit pas ainsi de lui-même et qu’il ne se sépare point volontairement, mais qu’il y est forcé par cette dispute, afin que sa maison ne soit pas en guerre perpétuelle. Voyez comment il calme la colère de son neveu, lui laisse choisir ce qu’il veut et lui propose toute la terre, en lui disant : Toute la terre n’est-elle pas devant toi ? Choisis à ton gré, et je prendrai avec grand plaisir ce dont tu ne voudras pas. Le juste montre ici une grande modération : il craint, avant tout, d’être à charge à son neveu ; c’est comme s’il lui disait : Puisque tout cela est arrivé malgré moi, il faut que nous nous séparions pour faire cesser les disputes ; aussi je te laisse le maître de choisir, je te donne tout pouvoir pour prendre la terre que tu estimeras la meilleure et me laisser l’autre. Jamais