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possédés de cette fureur que non seulement ils ne pardonnent point à leur femme, mais qu’ils tuent l’amant et eux-mêmes avec lui. Cette fureur est si grande, cette jalousie si indomptable, que celui qui est une fois pris de cette maladie néglige même son salut. Voilà ce qui prouve le courage du juste.
Quant à sa prudence on voit jusqu’où elle va, puisque réduit à de pareilles extrémités et engagé comme dans des filets, il peut trouver ce moyen de diminuer le mal. S’il avait dit que c’était sa femme, et s’il n’avait imaginé de là faire passer pour sa sœur, elle lui aurait encore été enlevée, puisque sa beauté aurait excité le libertinage des Égyptiens, et on l’aurait tué lui-même pour que personne ne pût porter plainte. Ainsi placé entre ces deux funestes dangers de l’incontinence des sujets et de la tyrannie du roi, il cherche dans sa détresse un léger adoucissement, et il dit à sa femme : Dis-leur, je suis sa sœur, cela me sauvera peut-être du danger. Car, quant à toi, que tu passes pour sœur ou pour femme, rien ne peut t’empêcher d’être enlevée à cause de ta beauté ; pour moi, j’éviterai probablement leurs embûches en prenant le nom de ton frère. Voyez-vous quelle était la prudence du juste, comment dans son embarras il sut trouver le chemin qu’il cherchait pour dérouter les embûches des Égyptiens ? Réfléchissez encore à la patience du juste et à la sagesse de sa femme ! Le juste, en effet, ne s’est pas indigné et n’a point dit : pourquoi conduire avec moi une femme qui soulève cette tempête ? à quoi me sert sa société puisque je tombe pour elle dans les plus grands dangers ? quel profit en ai-je, puisque non seulement elle ne me procure aucun soulagement, mais que sa beauté met ma vie en péril ? Il ne dit et ne pensa rien de semblable, il rejeta toute idée de cette espèce et ne douta point de la promesse de Dieu, il ne s’occupa qu’à fuir ce danger imminent. Ici, mes bien-aimés, admirez l’ineffable patience de Dieu, qui n’assiste et ne console point le juste, mais laisse le mal s’aggraver et s’accroître jusqu’à l’extrême, et alors seulement montre sa providence. Dis-leur donc : Je suis sa sœur afin qu’on me traite bien et que mon âme vive à cause de toi. Si le juste parle ainsi, ce n’est pas que l’âme doive mourir ; en effet : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme. (Mt. 10,28) Il ne parle ainsi à sa femme que par habitude. Afin que l’on me traite bien et que mon âme vice à cause de toi. C’est comme s’il lui disait : Dis : Je suis sa sœur, pour éviter que, forcé par la famine de fuir Chanaan, je ne tombe sous les coups des Égyptiens. Deviens pour moi une cause, de salut, afin qu’on me traite bien à cause de toi. Ces paroles sont touchantes : c’est que la fureur des Égyptiens était terrible et que la tyrannie de la mort n’était pas encore brisée ; aussi le juste consent à l’adultère de sa femme et semble même favoriser cette souillure pour éviter la mort. En effet, l’aspect de la mort était encore terrible, ses portes d’airain n’étaient pas encore rompues, son aiguillon n’était pas encore émoussé. Vous avez vu le lien d’affection entre le mari et la femme, vous voyez aussi quel conseil le mari ose donner et la femme peut recevoir ! Elle ne refuse pas et ne se fâche point, mais elle fait tout pour que la feinte ne, soit pas découverte. Écoutez, hommes et femmes, imitez cette concorde, ce lien d’affection, cet effort de piété et cette parfaite modestie de Sara. Si belle encore dans sa vieillesse, elle rivalisait avec les vertus de son mari ; aussi fut-elle honorée de la protection de Dieu et des faveurs d’en haut. Que personne donc n’accuse la beauté, que personne ne dise ces paroles irréfléchies : telle femme, tel homme ont été perdus par leur beauté. Il ne faut point s’en prendre à la beauté ; non certes ! car elle vient de Dieu ; c’est la perversité de la volonté qui est cause de tous les maux. Cette femme aussi admirable par la beauté de son âme que par celle de son visage, vous la voyez suivre les pas du juste. Que les femmes suivent son exemple ! Ni les grâces extérieures, ni sa stérilité prolongée, ni les grandes richesses, ni les voyages et déplacements, ni les tentations continuelles et successives, rien, en un mot, ne put ébranler sa raison, ni altérer son calme. Aussi elle obtint un digne prix dé sa résignation ; dans son extrême vieillesse, ses entrailles stériles et presque mortes purent engendrer.
Afin, dit-il, qu’ils me traitent bien par égard pour toi, et mon âme vivra à cause de toi. Il ne me reste plus d’autre voie de salut que si tu consens à dire : je suis sa sœur. Peut-être alors éviterai-je le danger que je redoute ; ensuite je vivrai grâce à toi, et je te tiendrai compte du reste de ma vie. Ces paroles suffisaient pour toucher sa femme et pour l’engager à lui complaire.
6. C’est là véritablement un mariage, quand