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eût d’abord été ainsi conçu : Va dans la terre que je te montrerai. Peut-être Dieu le lui annonça-t-il, en montrant à son esprit la terre où il voulait l’établir. Aussi, en lui faisant le commandement, il disait d’une manière indéterminée : Va dans la terre que je te montrerai, afin de nous dévoiler la vertu du juste. Ensuite quand celui-ci eut complètement rassemblé tout ce qui dépendait de lui, Dieu ne tarda pas à lui indiquer la terre qu’il devait habiter. Comme il prévoyait les grandes vertus de ce juste, il lui fit changer de séjour, sans lui dire d’emmener son frère ; c’est qu’il voulait s’en servir pour faire pénétrer sa loi, non seulement en Palestine, mais bientôt après en Égypte.
Vous voyez que ce n’est point de la naissance, mais de la volonté de notre esprit que dépendent notre vertu et notre perversité. Le patriarche et Nachor étaient frères par la naissance, mais non par la volonté. – Celui-ci, quoique son frère fût parvenu à une si haute vertu, était encore soumis à l’erreur ; celui-là montrait chaque jour, par ses œuvres, les progrès qu’il faisait aux yeux de Dieu dans la vertu. Abram vint dans la terre de Chanaan et la traversa dans toute sa longueur jusqu’à un endroit appelé Sichem, prés d’un grand chêne. L’Écriture nous indique les parties du pays où le juste place maintenant sa tente. Puis elle ajoute, pour que nous sachions comment il y vivait : Les Chananéens habitaient cette terre. Ce n’est pas sans raison que le bienheureux Moïse ajoute cette observation, mais pour que nous puissions apprécier la résignation du patriarche toute la contrée étant occupée d’avance par les Chananéens, il était forcé, comme un étranger et un vagabond, comme l’homme le plus vil et le plus abject, de s’arrêter n’importe où, sans peut-être trouver d’asile. Cependant il ne s’en impatientait pas ; il ne disait pas : qu’est-ce donc ? Moi qui vivais avec tant de considération à Charran, moi qui avais tant de serviteurs, je suis forcé maintenant, comme un exilé, un étranger, un passager, à me trouver trop heureux qu’on me laisse voyager, pour chercher un modeste refuge. Et je ne le trouve même pas ; je suis contraint de vivre dans des tentes et des cabanes et de porter avec moi ces fardeaux que la nécessité m’impose. Est-ce là ce qui m’a été dit : Viens, et je ferai naître de toi une grande nation ? C’était là un beau prélude : quel avantage en retirerai-je ? Le juste ne disait rien de semblable, il n’hésitait pas : La fermeté de son esprit et la perfection de sa foi rendirent inébranlable sa confiance dans les promesses de Dieu, ainsi que sa sagesse, et il mérita d’en recevoir promptement la récompense d’en haut.
7. Mais pour ne pas trop étendre ce discours, nous nous arrêterons ici, en suppliant que votre charité se pénètre de l’esprit de ce juste. Ce serait le comble de l’absurdité de voir que ce juste, appelé d’une terre sur une autre terre, a montré tant d’obéissance et que, ni la vieillesse, ni les autres obstacles que nous avons comptés, ni la difficulté des temps, ni tant d’autres embarras capables de l’arrêter, n’ont pu ralentir cette obéissance, mais que, rompant tous les liens, il s’est précipité, il s’est hâté comme si sa vieillesse avait été tout à coup rajeunie, emmenant sa femme, son neveu et ses serviteurs,-pour accomplir l’œuvre imposée par Dieu ; tandis que nous, qui ne sommes point appelés d’une terre sur une autre terre, mais de la terre au ciel, nous ne montrerions pas autant d’ardeur que ce juste dans notre obéissance, mais que souvent nous prétexterions des raisons insignifiantes et insensées, et que, ni la grandeur des promesses, ni la petitesse de tout ce que nous voyons, si fragile et si passager, ni la majesté de Celui qui nous appelle ne suffirait pour nous attirer, mais que nous serions assez négligents pour préférer ce qui est passager à ce qui est éternel, la terre au ciel, et les biens qui s’évanouissent quand on les touche à ceux qui ne finiront jamais. Jusques à quand, dites-moi, aurons-nous la folie d’amasser des richesses ? Quelle est cette rage qui nous tourmente chaque jour de désirs si pénibles, qui ne nous accorde aucun repos, et qui nous met dans un état encore pire que celui des hommes ivres ? Ceux-ci, en effet, plus ils boivent, plus ils ont soif, et plus le feu de leur passion est ardent ; de même, ceux qui se sont laissé tyranniser par le désir des richesses ne cessent jamais de désirer ; plus ils regorgent de trésors, plus leur ardeur s’augmente, plus leur feu s’allume. Ne voyez-vous pas que tous nos devanciers, eussent-ils' possédé la terre entière, étaient nus et seuls en quittant ce monde, sans autre profit que d’avoir à rendre compte là-bas de leurs immenses richesses ? Quant aux biens qu’ils avaient amassés, différents héritiers se les sont partagés, mais tous les péchés commis