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Charran, d’où il le fît partir après la mort de son père. (Act. 7,2, 4) Quoi donc ! les saintes Écritures sont-elles en contradiction avec elles-mêmes ? Non, certes. Mais nous devons en conclure que le fils étant croyant, Dieu lui apparut pour ordonner ce départ, et que, en étant instruit ; son père Tharra, quoique infidèle, voulut faire ce voyage avec son fils chéri ; il vint à Charmai, s’y fixa, et c’est là qu’il quitta cette vie. Alors le patriarche vint par ordre de Dieu au pays de Chanaan. Du reste, Dieu ne le fit pas venir avant la mort de son père. Mais, après cette mort, le Seigneur dit à Abraham : quitte cette terre, ta famille et la maison de ton père, et viens dans la terre que je te montrerai. Je ferai naître de toi une grande nation, je te bénirai, et je glorifierai ton nom et tu seras béni ; je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les tribus de la terre seront bénies en toi. (Gen. 12,1-3) Étudions avec soin chaque parole pour voir quelle était la piété du patriarche.
Ne négligeons rien de ce qui précède, mais songeons à la gravité de cette injonction : Sors, dit-il, de ton pays, quitte ta famille et la maison de ton père, et viens dans la terre que je te montrerai. C’est comme s’il disait : Abandonne une existence connue et assurée pour en prendre une inconnue et incertaine. Voyez comme le juste est éprouvé dès le commencement, comme il doit abandonner le certain pour l’incertain et le présent pour l’avenir. En effet, ce n’est pas là un ordre qu’on soit habitué à recevoir ; il fallait quitter le pays qu’il avait habité si longtemps, toute sa famille, toute la maison de son père, et aller sans savoir où, dans un pays inconnu. Car Dieu ne lui dit pas dans quelle contrée il veut le transporter, mais il éprouve la piété du patriarche par ce qu’il y a de vague dans son commandement. Viens, dit-il, dans la terre que je te montrerai. Songez, mes bien-aimés, quelle force d’esprit cela exigeait, et combien il fallait être dégagé de toute affection et de toute habitude. Maintenant encore, après les progrès de la religion, bien des gens sont esclaves de l’habitude au point de supporter volontiers mille souffrances, plutôt que d’abandonner les lieux, qu’ils habitent, à moins que la nécessité ne les y force ; et cela ne se voit pas seulement chez les premiers venus ; mais chez ceux qui fuient le tumulte du monde et qui ont choisi l’existence des solitaires : combien donc était-il probable qu’un pareil ordre répugnerait à ce juste et lui serait pénible à accomplir ? Pars, laisse tes parents, la maison paternelle, et viens sur la terre que je te montrerai.
Qui ne serait troublé de pareilles paroles ? Dieu ne lui désigne d’une manière précise, ni l’endroit ni le pays, mais il sonde l’esprit du juste par l’incertitude de son commandement. Si tout autre, si le premier venu avait reçu cet ordre, il aurait dit : Soit ; tu veux que je quitte le pays que j’habite, ma famille, la maison de mon père. Pourquoi ne me dis-tu pas aussi quel est l’endroit où tu m’envoies afin que je sache si j’ai beaucoup de chemin à faire ? Comment – saurai-je si mon nouveau séjour l’emporte sur celui que j’abandonne, par l’abondance et la fertilité ? Or, le juste ne dit rien, ne pensa rien de semblable, mais songeant à l’importance d’un pareil ordre, il préféra l’incertain au certain. Cependant s’il n’avait pas eu de hautes pensées et l’esprit plein de sagesse, s’il n’avait pas su qu’on doit en~tout obéir à Dieu, il aurait encore eu un grave motif pour le retenir ; j’entends la mort de son père. Vous savez, en effet, que bien des personnes préfèrent mourir aux lieux où sont les tombeaux de leur famille, là où leurs ancêtres sont morts eux-mêmes.
4. Sans doute ce sage, s’il avait eu moins de piété, aurait pu se dire.: Mon père a quitté sa maison par amour pour moi, il a rompu ses anciennes habitudes et a tout négligé pour venir jusqu’ici ; c’est presque pour moi qu’il est mort sur une terre étrangère, et moi je ne chercherai pas à lui rendre la pareille après sa mort, je laisserai ma famille et le tombeau de mon-père, et je partirai ! Rien de tout cela ne put ralentir son zèle, mais son amour pour Dieu lui rendit tout simple et facile.
Peut-être encore s’il avait voulu prêter l’oreille aux raisonnements humains, se serait-il tenu ce langage ? Dans cet âge où j’arrive, au terme de la vieillesse, où irai-je ? Je n’emmène point de frères, je n’ai pas de parents avec moi ; séparé de toute ma famille, seul et étranger, comment me dirigerai-je vers ce pays inconnu sans savoir quand je cesserai d’errer sur la terre ? Si je meurs au milieu de mon voyage, à quoi m’auront servi tant de souffrances ? qui s’inquiétera d’un vieillard, d’un étranger sans patrie, sans maison ? Peut-être ma femme implorera-t-elle les voisins pour obtenir leur pitié et ramasser quelques aumônes, afin de m’ensevelir. Combien il