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si bien enracinée dans vos âmes, je me réjouis et me félicite ; mais je me prépare à un grand combat, connaissant la méchanceté de l’ennemi qui en veut à votre salut. Ainsi que les pirates sur mer, lorsqu’ils voient un navire rempli de marchandises, et portant d’immenses richesses, lui dressent principalement des embûches pour ravir la cargaison et dépouiller l’équipage ; de même aussi le diable, quand il voit un grand amas de richesses spirituelles, un zèle fervent, un esprit vigilant, quand il voit que cette richesse s’augmente de jour en jour, il cherche à mordre, et grince des dents ; comme le pirate, il rôde autour de vous, imaginant une foule d’artifices, afin de pénétrer par un joint, si petit qu’il soit, de vous renvoyer nus et dépouillés, et de vous ravir toute votre richesse spirituelle. Ainsi, soyons prudents, je vous en prie, et plus notre richesse spirituelle augmentera, plus notre vigilance doit être active afin d’éventer les pièges tendus de toutes parts, d’attirer sur nous, par la pureté de notre vie, la bienveillance de Dieu, et d’arriver à nous mettre au-dessus des traits du diable. Songez que c’est une bête féroce et pleine de ruses ; quand il ne peut nous conduire tout droit au mal, il nous séduit alors par ses illusions. En effet, il ne contraint et ne force personne, non sans doute ! il trompe seulement, et ceux qu’il voit faiblir, il les terrasse. Ainsi, quand il ne peut faire usage du mal lui-même pour nuire ouvertement à notre salut, souvent il profite des bonnes œuvres auxquelles nous participons, pour jeter l’hameçon en secret et pour détruire toutes nos richesses.
Que signifient ces dernières paroles ? Il faut nous expliquer plus clairement, afin d’éviter les embûches du démon et d’échapper à ses coups. Quand il voit que la perversité toute nue nous répugne, et que nous fuyons l’incontinence pour embrasser la chasteté', quand nous repoussons l’avarice, que nous détestons l’injustice, que nous méprisons la mollesse, que nous nous livrons aux jeûnes et aux prières et que nous pratiquons l’aumône ; alors il organise une autre machination, capable d’anéantir tous nos biens, et de rendre inutiles toutes nos bonnes actions. Ceux qui ont triomphé de ses ruses à force d’énergie, il les prépare à s’enorgueillir de leurs bonnes œuvres et à se préoccuper de la gloire humaine afin de leur faire perdre la véritable gloire. Car celui qui, dans une œuvre spirituelle, considère la gloire humaine, reçoit ici-bas sa récompense, et cesse d’avoir Dieu pour débiteur. En effet, les hommes dont il voulait être loué lui ont accordé leurs éloges, et il se prive de ceux que le Seigneur lui avait promis, lorsqu’il préfère la faveur passagère de ses semblables à celle du Créateur de toutes choses. C’est ce que nous apprend le Christ à propos des prières, des aumônes et des jeûnes, en disant : Quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ta figure, afin que tu ne sembles pas jeûner pour les hommes, mais pour ton Père invisible, et ton Père invisible qui te voit te le rendra. (Mt. 6,17-18) Et aussi : Quand tu fais l’aumône, ne le publie pas à son de trompe, dit-il, comme font les charlatans dans les réunions et sur les places, afin d’être vantés par les hommes. En vérité, je te le dis, ils ont reçu leur récompense. Vous voyez que celui qui recherche la gloire humaine perd la gloire divine, et que celui qui fait le bien en se cachant des hommes, recevra publiquement, dans ce jour terrible, sa récompense des mains du Seigneur. Car ton Père invisible, qui a les yeux sur toi, te le rendra publiquement. Ne t’inquiète pas, dit-il, de ce qu’aucun homme ne te louera, de ce que tu feras le bien en secret ; songe plutôt que bientôt la libéralité du Seigneur sera d’autant plus grande, qu’elle ne s’exercera point en secret ni à l’ombre, mais que devant tout le genre humain, depuis Adam jusqu’à la fin des siècles, il proclamera et couronnera ta vertu, et te récompensera des efforts qu’elle t’a coûtés. Quelle excuse peuvent donc avoir les hommes qui, faisant aussi les mêmes efforts, sacrifient cependant, pour la gloire passagère, vile et inutile que donnent leurs semblables, la gloire qui les attend au ciel ?
2. Soyons donc sur nos gardes, je vous en, prie, quand nous entreprenons une couvre soi rituelle, pour l’enfouir avec soin dans le trésor de notre âme, afin d’être bien vus de cet œil qui ne dort jamais, et qu’à propos des louanges humaines, souvent intéressées, nous ne nous rendions pas indignes de celles du Seigneur. Voici, en effet, deux écueils funestes à notre salut : l’attention que nous prêtons à la gloire humaine dans nos œuvres spirituelles, et l’orgueil que nous donnent nos bonnes œuvres. Aussi nous devons être prudents et vigilants et avoir sans cesse recours aux remèdes de l’Écriture sainte pour ne pas succomber à nos