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Le venin des serpents est sous leurs langues (Ps. 139,4) : ainsi, par le mot langue, l’Écriture entend langage. Et il arriva, comme ils partirent d’Orient, qu’ils trouvèrent une campagne dans la terre de Sennaar, et ils y habitèrent.
2. Voyez comme la nature humaine ne peut rester dans ses limites propres, mais comme toujours ambitieuse, elle cherche de nouveaux avantages. Ce qui la perd c’est de ne pas connaître les bornes qui lui sont imposées, de chercher toujours mieux qu’elle n’a et plus qu’elle n’est appelée à avoir. Aussi ceux qui soupirent après les biens du monde, s’ils sont entourés de richesses et de puissance, arrivent à oublier leur nature et veulent s’élever au faîte des grandeurs, jusqu’à ce qu’ils en soient précipités jusqu’au fond de l’abîme. C’est ce que nous voyons arriver à quelques-uns tous les jours sans que cela rende les autres plus sages : l’exemple retient un instant, mais bientôt on oublie tout, on suit la même route et l’on tombe dans le même précipice. Nous en voyons ici un exemple. Et il arriva, comme ils partirent d’Orient, qu’ils trouvèrent une campagne dans la terre de Sennaar, et ils y habitèrent. Voyez comme nous reconnaissons peu à peu l’instabilité de leur pensée. Quand ils virent cette campagne, ils émigrèrent, abandonnèrent leur premier établissement et habitèrent là. L’Écriture dit ensuite : Chacun dit à son voisin : Venez, faisons des briques et cuisons-les au feu. Ainsi ils rendirent les briques comme de la pierre et le bitume leur servait de ciment. Et ils dirent Venez, bâtissons-nous une ville et une tour dont la tête monte jusqu’au ciel, afin de nous faire un nom avant d’être dispersés sur toute la terre. Vous voyez comment ils abusent de leur idiome commun, et comment cette orgueilleuse proposition engendre tous leurs maux. Venez, faisons des briques et cuisons les au feu : Ainsi, ils rendirent les briques comme de la pierre, et le bitume leur servait de ciment. Voyez avec quelle sécurité ils songent à édifier sans penser à cette vérité : Si le Seigneur n’aide pas à élever la maison, ceux qui la construisent travaillent en vain. (Ps. 126,1) Bâtissons-nous, disent-ils, une ville : non pour Dieu, mais pour nous. Voyez jusqu’où va eur perversité ! malgré le souvenir si présent encore de la destruction universelle, ils n’en tombent pas moins dans une pareille folie. Et bâtissons-nous, disent-ils, une ville et une tour dont la tête monte jusqu’au ciel. Par ce mot de ciel, l’Écriture sainte a voulu nous montrer l’excès de leur audace. Et faisons-nous un nom. Remarquez ici le germe du mal. C’est afin, disent-ils, de laisser un souvenir éternel, afin que notre mémoire vive toujours. Cette œuvre, cet édifice sera tel que l’oubli ne pourra l’effacer. Faisons cela avant d’être dispersés sur la surface de toute la terre. Pendant que nous sommes encore ensemble, disent-ils, accomplissons ce projet, afin de laisser un souvenir ineffaçable aux générations futures.
Il y a encore maintenant bien des gens qui les imitent et qui veulent éterniser leur nom par des travaux semblables, en construisant des palais, des bains, des portiques ou des promenades. Si vous demandez à un de ces hommes pourquoi il travaille et se fatigue ainsi, pourquoi il dépense tant d’argent et aussi inutilement, il vous répondra aussi que c’est pour sauver sa mémoire de l’oubli et pour que l’on dise que c’est sa maison ou son champ. Mais ce n’est pas là glorifier sa mémoire, c’est plutôt l’accuser. Car ce nom sera suivi aussitôt de mille qualifications injurieuses ; on dira qu’un tel est avare, avide, spoliateur de la veuve et de l’orphelin. Ce n’est donc pas là se faire un nom, mais se mettre en butte à d’éternelles accusations qui poursuivent même après la mort et aiguiser les langues pour maudire et condamner la possession de tous ces biens. Si vous tenez absolument à laisser un souvenir ineffaçable, je vous montrerai le chemin pour y parvenir tout en vous ménageant des éloges et des bénédictions même – dans l’avenir. Comment pourrez-vous donc faire parler de vous chaque jour et mériter des louanges même après avoir quitté cette vie ? C’est en distribuant ces richesses aux pauvres, sans vous occuper de pierres, de palais, de campagnes et de bains. Voilà un souvenir immortel, voilà un souvenir qui vous procure mille trésors, qui vous aide à porter le poids de vos péchés et vous réconcilie avec Dieu. Songez, je vous prie, aux noms que chacun vous donnera, en vous appelant compatissant, humain, doux, généreux, inépuisable dans ses charités. Il a donné, partagé son bien aux, pauvres. Sa justice demeure éternellement. (Ps. 3,9) Voilà ce qui arrive des richesses ainsi répandues, elles subsistent, mais accumulées et renfermées, elles perdent leur maître avec elles. Il a donné, partagé son bien aux pauvres. Mais remarquez la suite