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et que Chanaan soit son esclave. (Gen. 9,26) Ici, peut-être, dira-t-on Noé, en prononçant ces mots, ne bénit pas Sem ; au contraire, il le bénit de la manière la plus efficace. En effet, quand on rend à Dieu des actions de grâces, lorsqu’on bénit Dieu, le Seigneur, à son tour, accorde plus largement sa bénédiction à ceux qui donnent l’occasion de le bénir lui-même. Ainsi Noé, bénissant Dieu, l’a rendu débiteur d’une bénédiction plus grande ; il a été, en faveur de Sem, l’auteur d’une rétribution plus considérable que si lui-même l’eût béni en son propre nom. De même que le Seigneur, béni à cause de nous, devient pour nous tout à fait clément et propice ; de même, réciproquement, quand il est blasphémé à cause de nous, il prononce contre nous une condamnation plus sévère, parce que nous avons été l’occasion des blasphèmes. Faisons donc tous nos efforts, je vous en conjure, pour vivre avec tant de sagesse, pour montrer une vertu si pure, que tous ceux qui nous verront offrent au Seigneur notre Dieu des louanges et des bénédictions. Dans sa bonté, dans sa clémence, le Seigneur veut être glorifié par nous ; ce n’est pas qu’il en reçoive le moindre accroissement de gloire ; il n’a besoin de rien, mais il veut que nous lui fournissions nous-mêmes l’occasion de nous montrer plus de bienveillance. Que le Seigneur, le Dieu de Sem, soit béni, et que Chanaan soit son esclave. Voyez-vous comme le père annonce le châtiment, qui, toutefois, est plutôt une correction qu’un châtiment ; il était père, c’était un père tendre ; il ne voulait pas un châtiment égal à la faute, mais de nature à réprimer plus tard les progrès de la malignité. Voilà pourquoi, dit-il, je te condamne à la servitude, afin que tu conserves à chaque instant, toujours, le souvenir de ce que tu as fait. Ensuite il dit : Que Dieu multiplie la postérité de Japhet, et qu’il habite dans les tentes de Sem, et que Chanaan soit son esclave. (Id. 27) Ici encore, la bénédiction la plus abondante, et qui renferme peut-être un trésor caché : Que Dieu multiplie, dit-il, la postérité de Japhet. Ce n’est pas se tromper que d’appeler ces bénédictions de l’homme juste des prophéties. Car, s’il est vrai que le père de Noé ne lui a pas donné au hasard et sans dessein, ce nom de Noé ; s’il est vrai que ce nom était la prophétie du déluge à venir, à bien plus forte raison, cet homme juste n’a pas prononcé ces bénédictions sans une secrète pensée. Je crois, en effet, que la bénédiction des deux frères signifie la vocation des deux peuples ; quand il bénit Sem, il bénit les Juifs ; de Sem est sorti Abraham, et le peuple juif qui s’est multiplié ; quand il bénit Japhet, il annonce la vocation des Gentils. Remarquez les paroles de la bénédiction : Que Dieu multiplie, dit-il, la postérité de Japhet, et qu’il habite dans les tentes de Sem. C’est ce dont nous voyons l’accomplissement, dans la vocation des nations. En effet, Noé, disant : Que Dieu multiplie, indique toutes les nations ; et en disant : Qu’il habite sous les tentes de Sem, il indique les nations commençant à jouir des biens préparés pour les Juifs. Et que Chanaan soit son esclave.
8. Avez-vous bien compris quelle récompense les uns ont reçue pour leur sagesse ; de quelle honte l’autre a été couvert par son dérèglement ? Conservons toujours ces récits dans notre pensée, imitons les uns, fuyons la perversité, le dérèglement de l’autre. Or, Noé vécut, dit le texte, trois cent cinquante ans après le déluge, et tout le temps de sa vie ayant été de neuf cent cinquante ans, il mourut. (Gen. 28, 29) N’allez pas croire que ce soit sans raison que la divine Écriture ajoute ces détails. Voyez ici une nouvelle preuve de la continence de l’homme juste. Dans une telle abondance de biens, dans un repos parfait, pendant un si grand nombre d’années après là sortie de l’arche, il ne pensa plus à procréer des enfants. L’Écriture, en effet, ne nomme pas d’autres enfants avec ces trois fils. Considérez encore l’excès de l’intempérance de Cham, qui avait sous les yeux un père d’une telle continence, sans devenir lui-même plus chaste, qui, au contraire, agissait d’une manière toute différente. Aussi, c’est avec raison que toute sa postérité a été condamnée à la servitude, frein nécessaire de la volonté pervertie. L’Écriture énumère ensuite la postérité sortie de ces fils, et dit : Cham engendra Chus ; et plus loin Chus engendra Hemrod qui montra le premier géant sur la terre ; ce fut un géant, chasseur devant le Seigneur. (Gen. 10,6-9) Quelques interprètes pensent qu’ici, devant le Seigneur, signifie la même chose que s’élevant contre Dieu. Quant à moi, je n’admets pas cette insinuation dans la divine Écriture ; elle dit simplement qu’il était fort et courageux. Cette expression, devant le Seigneur Dieu, revient à dire, établi par Dieu, parce qu’il avait reçu la bénédiction de Dieu ; ou, si vous voulez, parce qu’il était une occasion d’admirer le Dieu qui avait fait ce géant, et qui l’avait montré sur la terre. Celai-ci reproduisit les mœurs de son aïeul, abusa de ses forces naturelles, inventa une nouvelle servitude, et entreprit de devenir un chef de peuple, un roi. Pas de sujets, pas de roi voilà bien la vraie liberté ; mais la servitude la plus lourde est celle qui surgit au sein de la liberté, qui maîtrise des hommes libres. Voyez les ravages de l’ambition, voyez la force du corps dépassant ses limites, jamais satisfaite, aspirant à la gloire. Ce n’était pas pour protéger et défendre qu’il se faisait des sujets ; mais il construisait des villes pour dominer sur des