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l’art d’élever le gros bétail ; un autre, la musique ; un autre, l’industrie de l’airain ; quant à ce juste dont nous parlons, il trouva, grâce à la sagesse communiquée d’en haut, l’art de cultiver la vigne. Noé, dit le texte, s’appliquant à l’agriculture, commença à labourer et à cultiver la terre, et il planta une vigne, et il but du vin, et il s’enivra. Méditez sur ce remède à la tristesse, sur ce moyen de guérison, qui, parce que l’ignorance a dépassé la mesure, non seulement n’est d’aucune utilité, mais devient funeste et indispose.
Mais peut-être dira-t-on : pourquoi une plante si fertile en vices et en malheurs, a-t-elle été produite ? N’exprimez pas ainsi, ô hommes, sans réfléchir, toutes les pensées qui vous viennent. Ce n’est pas la plante qui est mauvaise, ce n’est pas le vin qui est vicieux, mais l’abus qu’on en l’ait, parce que ce n’est pas le vin qui produit les fautes, les crimes, c’est la dépravation de la volonté ; le vin nous est utile : c’est l’intempérance qui le rend funeste. Si l’Écriture ne vous montre le vin en usage qu’après le déluge, c’est pour vous apprendre que, même avant l’usage du vin, les hommes étaient tombés dans les dérèglements, dans les excès de la licence ; qu’ils avaient montré leur perversité dans un temps où le vin était inconnu ; c’est afin que, quand vous verrez le vin en usage, vous n’alliez pas attribuer toutes nos fautes au vin, mais à la volonté corrompue, qui se pervertit d’elle-même. Faites d’ailleurs une autre réflexion qui prouve l’utilité du vin, et soyez saisis d’une sainte horreur, ô hommes ! le vin est la substance qui sert à opérer le salut des bons, c’est ce que n’ignorent point les initiés à nos mystères. Noé s’appliquant à l’agriculture, dit le texte, commença à labourer et à cultiver la terre, et il planta une vigne, et il but du vin, et il s’enivra.
C’est un mal redoutable, mes bien-aimés ; oui, un mal redoutable que l’ivresse, qui produit l’aveuglement, qui engloutit la raison. De cet homme doué de raison, de cet homme qui a reçu l’empire sur toutes les créatures, elle fait un captif, enchaîné d’indissolubles liens, un mort que rien ne réveille ; elle en fait quelque chose de pire qu’un mort. Le mort n’a d’énergie ni pour le bien, ni pour le mal ; mais l’homme ivre, sans énergie pour le bien, n’a que plus d’énergie pour le mal ; et le voilà ridicule aux yeux de sa femme, et de ses enfants, et de ses serviteurs. Ses amis, considérant sa honte, rougissent et sont couverts de confusion ; ses ennemis, au contraire, se réjouissent et se rient de lui, et le chargent d’opprobres, et s’écrient : Faut-il donc voir vivre, faut-il donc voir respirer cette brute, ce porc ! et ils se servent d’expressions plus honteuses encore. C’est que ceux que frappe l’ivresse sont plus hideux à voir que ceux qui reviennent des combats, les mains souillées de sang, ou qu’on rapporte chez eux, en tumulte ; ceux-là, il peut se faire qu’on les vante à cause des trophées, des victoires, des blessures, des membres mutilés ; mais pour ceux qu’on voit ivres, on les appelle des misérables, on les accable d’imprécations. Qu’y a-t-il en effet de plus misérable que celui qu’enchaîne l’ivresse ; qui, chaque jour, se plonge dans le vin, et corrompt sa pensée et son jugement ? De là, le conseil que donnait le Sage : Le principal, dans la vie de l’homme, c’est le pain et l’eau, et le vêtement, et une maison qui cache sa honte. (Sir. 29,28) C’est afin que celui que l’ivresse possède ne soit pas exposé en public, mais caché par les siens ; c’est afin qu’il ne soit pas le honteux objet de la risée de tous. Noé s’appliquant à l’agriculture, commença, dit le texte, à labourer et à cultiver la terre, et il planta une vigne, et il but du vin, et il s’enivra.
4. Le mot d’ivresse, mes bien-aimés, dans la sainte Écriture, ne signifie pas partout ce que nous entendons par ce mot ; dans nos saints Livres, ce mot exprime aussi la satiété ; peut-être donc aurait-on raison de dire, à propos de ce juste, qu’il ne commit pas un excès, qu’il ne s’enivra pas ; seulement qu’il prit du vin de manière à se rassasier. Écoutez, en effet, la parole de David : Ils s’enivreront de l’abondance de votre maison (Ps. 35,9), c’est-à-dire, ils seront rassasiés. D’ailleurs, ceux qui s’abandonnent à l’ivresse n’en ont jamais assez ; plus ils absorbent de vin, plus ils sont altérés ; ce vin est comme un feu qui les embrase ; le plaisir disparaît ; mais une soif impossible à étancher les précipite dans le gouffre de l’ivresse qui les y retient captifs. Et il planta, dit le texte, une vigne, et il but du vin, et il s’enivra ; et il était nu dans sa tente. Considérez que cela ne lui est pas arrivé dehors, mais dans sa tente ; la divine Écriture a mis, dans sa tente, afin que la suite vous montre l’affreuse malignité de celui qui osa révéler cet état de nudité. Cham, dit le texte,