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toutes parts ? Comment, je vous en prie, a-t-il résisté ? Comment a-t-il duré ? Je suppose qu’ils eussent des corps de ter, des corps de diamant, comment ces corps mêmes auraient-ils pu, privés d’air, privés du vent, qui n’est pas moins utile que l’air à la santé du corps, supporter cette noire, étouffante captivité ? Comment ne devinrent-ils pas aveugles dans un si long séjour ? Si nous voulons, pour comprendre une telle situation, nous rappeler nos préoccupations ordinaires, où trouvaient-ils de l’eau potable, ces vivants renfermés dans l’arche ? Négligeons ce détail ; comment put-il, ce juste, avec ses fils et leurs femmes, supporter cette existence en commun, avec les êtres sans raison, les bêtes sauvages, et tous les autres animaux ? Supporter l’infection ? supporter la cohabitation avec eux ? Mais que dis-je ? comment ces animaux mêmes purent-ils résister si longtemps, comment ne périrent-ils pas, ne pouvant ni respirer, ni se mouvoir, dans cette seule et unique place où ils étaient tous si étroitement serrés ? Vous savez bien, vous savez parfaitement qu’il nous faut nécessairement, et à nous, et aux animaux, plus que de l’air, plus que de la nourriture, qu’on nous enferme, qu’on nous mette à l’étroit dans une place unique, nous dépérissons, nous mourons. Comment donc ce juste a-t-il pu, avec tous les êtres vivants qui étaient dans l’arche, subsister si longtemps ? Ne cherchez pas d’autre cause que la grâce d’en haut, la grâce toute-puissante. Cette arche, agitée deçà, delà, qu’une telle fureur des eaux n’engloutit pas, qui n’a pas de pilote, expliquez ce prodige sans la grâce d’en haut ! Impossible de prétendre que cette arche fût comme un vaisseau que l’on pût diriger. L’arche était fermée de toutes parts, et, parce que l’architecte l’avait voulu ainsi, non seulement le choc des flots ne lui porta aucune atteinte, mais l’arche, s’élevant sur leurs têtes, conserva dans une parfaite sûreté ceux qui l’habitaient.
Lorsque Dieu opère, mon bien-aimé, une œuvre de ses mains, quelle qu’elle soit, ne cherchez pas à l’expliquer par une méthode humaine : les ouvrages de Dieu dépassent notre pensée ; jamais l’intelligence de l’homme ne peut atteindre, comprendre la raison de ce qui est l’industrie de Dieu.
5. Donc il convient, quand nous entendons ce que Dieu commande, d’obéir à son ordre, de croire à ses paroles. Il est le Créateur de la nature ; il change, il transforme tout comme il lui plaît. Et le Seigneur Dieu ferma l’arche par-dehors. La vertu de ce juste fut grande, et sa foi excellente. C’est même là ce qui fit que l’arche fut construite, que tous supportèrent une telle habitation, une prison si étroite, une existence en commun avec les bêtes sauvages et les animaux de toute espèce. De là les paroles du bienheureux Paul, publiant la vertu de l’homme juste : C’est par la foi que Noé, divinement averti, appréhendant ce qu’on ne voyait point encore, bâtit l’arche, pour sauver sa famille, et, en la bâtissant, condamna le monde, et devint héritier de la justice qui naît de la foi. (Héb. 11,7) Avez-vous bien compris comment la foi dans le Seigneur a été, pour le juste, comme une ancre solide ; comment la foi, qui l’assurait de tout, lui a fait construire l’arche, et supporter une pareille habitation ? Cette foi qui l’animait, lui a procuré son salut, et en la bâtissant, dit le texte, il condamna le monde, et devint héritier de la justice qui naît de la foi. Ce n’est pas qu’il ait lui-même été juge, mais c’est que Dieu condamne par comparaison les hommes qui, avec les mêmes ressources que ce juste, n’ont pas pris, comme lui, le chemin de la vertu ; donc, c’est la foi qu’il a montrée qui a condamné les autres, ces incrédules qui n’ont pas ajouté foi à la prédiction. Quant à moi j’admire, entre toutes les autres vertus de ce juste, qu’il ait pu, grâce à la bonté, à l’ineffable miséricorde de Dieu, vivre au milieu de ces animaux sauvages, de ces lions, de ces léopards, de ces ours, de toutes les autres bêtes féroces.
Rappelez-vous, mon bien-aimé, je vous en prie, quelle était la puissance, la suprématie de l’homme avant la désobéissance, et méditez sur la bonté de Dieu. Lorsque l’infraction au commandement eut diminué le pouvoir qui nous était donné, après le premier homme, le Dieu de bonté en trouva un autre qui put restaurer l’ancienne image, conserver les caractères de la vertu, montrer une parfaite obéissance aux ordres de Dieu. Le Seigneur le réintégra dans le premier honneur, comme pour nous montrer, par la réalité des faits, jusqu’où s’étendait le pouvoir d’Adam avant sa désobéissance. C’est ainsi que la vertu de l’homme, aidé par la divine clémence, reconquit l’antique domination, et les animaux reconnurent une seconde fois notre empire. En effet, à la vue d’un juste, ils oublient leur propre nature ;