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aucune trace de vertu. Eh bien ! dans une pareille génération et dans ces temps, le juste non seulement montra de la vertu, mais la porta au comble, il fut accompli et parfait en tout. Car, ainsi que je l’ai dit, c’est encore donner une plus grande preuve de vertu que de faire le bien au milieu de ceux qui le combattent et de le pratiquer parmi ceux qui voudraient nous en détourner ; ainsi tout cela rehausse encore la gloire du juste : Ce n’est pas là que s’arrêtent les éloges de l’Écriture : elle montre encore l’excellence de sa vertu par l’approbation de Dieu lui-même, puisque, après avoir dit : accompli dans son temps, elle ajoute : Noé plut à Dieu. Sa vertu était si complète qu’elle mérita les éloges de Dieu. Noé plut à Dieu, ce qui revient à dire, il fut approuvé de Dieu, il plut par ses bonnes œuvres à cet œil qui ne dort jamais, il s’en fit bien voir par la pureté de sa vie au point que, non seulement il fut sauvé de l’indignation qui allait tout engloutir, mais encore qu’il fût à la tête des autres survivants. Noé plut à Dieu. Quel homme fut jamais plus heureux, qui put jamais montrer tant de vertu, puisque le Seigneur de l’univers est son panégyriste !
Voilà les honneurs que reçut Noé, et tout homme raisonnable les préférera à tout ce qu’il y a de plus élevé en richesses, en gloire, en puissance, et en toute espèce de félicité humaine : celui qui aime Dieu sincèrement doit les mettre au-dessus d’un royaume. En effet, c’est la véritable royauté que de pouvoir, par une existence irréprochable, nous rendre Dieu clément et propice. Si nous devons craindre l’enfer, ce n’est point pour son feu inextinguible, ses peines terribles et ses tourments éternels, c’est pour la douleur d’avoir offensé un Maître si bon et d’être privés de sa grâce ; de même, nous ne devons rechercher cette royauté que par amour pour lui et afin de jouir de sa grâce. Car le plus désirable dans cette royauté est d’obtenir la bienveillance de notre Maître clément ; de même ce qu’il y a de plus pénible dans l’enfer, c’est d’avoir perdu cette bienveillance. Vous avez vu combien la seule appellation de juste nous a été utile à développer, et quel trésor de réflexions nous a fourni la généalogie de cet homme admirable. Suivons donc les règles de l’Écriture sainte, et si nous avons à raconter une généalogie, ne parlons point du père, du grand-père et des aïeux, mais faisons voir seulement la vertu de l’homme dont il s’agit. Voilà la meilleure manière de faire une généalogie. Quel avantage y a-t-il à descendre de parents illustres et vertueux, si l’on a mal vécu ? Au contraire, quel inconvénient y a-t-il à n’avoir que des parents obscurs et inconnus, si l’on brille par son mérite ? Tel était ce juste, et s’il s’est concilié la faveur de Dieu, ce n’est point à cause de ses parents, car l’Écriture ne nous fait pas remarquer leurs vertus. Cependant, malgré tant d’obstacles et d’embarras, il parvint au comble de la vertu ; ce qui vous montre que, si vous êtes attentifs et vigilants, et que vous cherchiez à faire votre salut, rien ne peut vous en empêcher. Si nous cédons à la mollesse, les moindres choses nous arrêteront ; mais si nous restons attentifs, mille ennemis conjurés pour nous pousser au mal ne pourront altérer notre zèle. Ainsi les efforts de tant de pécheurs ne peuvent empêcher ce juste de pratiquer la vertu. Il ne faut donc jamais accuser personne et rendre un autre responsable de sa faute ; mais tout imputer à sa propre faiblesse. Et pourquoi m’arrêter aux autres hommes ? Le diable lui-même ne doit jamais être regardé comme assez puissant pour, empêcher personne de marcher dans le chemin de la vertu. Il trompe les faibles et les fait succomber, mais il ne les arrête pas de force et ne leur fait point violence. L’expérience nous prouve que si nous voulions veiller, nous montrerions tant de fermeté que les efforts de tous ceux qui voudraient nous pousser au mal seraient impuissants contre nous ; nous serions plus solides que le diamant, et nous fermerions l’oreille à ces conseils détestables, Mais si nous sommes négligents, notre inclination nous conduira naturellement dans la route du vice, sans que personne nous conseille ou nous séduise. Si cela n’était pas remis à notre volonté et à la décision de notre âme, si le bon Dieu n’avait pas donné le libre arbitre à notre nature, il aurait fallu que ceux qui appartiennent ; à cette nature et sont soumis aux mêmes impressions fussent tous méchants ou tous bons. Mais quand nous voyons nos semblables, éprouvant les mêmes impressions, ne pas en être affectés comme nous ; quand nous voyons que par l’énergie de leur raison ils gouvernent leur nature, domptent leur impétuosité, mettent un frein à leur concupiscence, triomphent de la colère, fuient la jalousie, repoussent l’envie, dédaignent la passion des richesses, négligent