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la vertu. Le Seigneur sait que celui qui ne s’écarte pas de la vertu et ne demande d’autre approbation que celle d’en haut, ne peut être loué et approuvé par tous les hommes, et voilà pourquoi il plaint ceux qui négligent la vertu pour la gloire des hommes ; car s’ils se réunissent tous pour vous louer, c’est la meilleure preuve que vous n’estimez pas assez la vertu. Comment, en effet, l’homme de bien pourrait-il plaire à tout le monde s’il veut délivrer les opprimés de leurs oppresseurs, les victimes des bourreaux ? De même, s’il veut corriger les pécheurs et louer les justes, n’est-il pas probable qu’il sera approuvé d’un côté et blâmé de l’autre ? Aussi le Christ dit-il : Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous ! Comment donc ne serions-nous pas frappés d’admiration pour ce juste ? ce que le Christ nous a annoncé en paraissant parmi nous, lui, sans autre instruction que la loi naturelle, il l’a accompli d’une manière parfaite, et méprisant l’opinion des hommes, il n’a recherché la vertu sur terre que pour obtenir la grâce de Dieu, car Noé trouva grâce devant le Seigneur Dieu. Du reste, c’est à cause des vertus dont il était doué qu’il a trouvé grâce devant le Seigneur Dieu, comme l’explique l’admirable prophète inspiré par le Saint-Esprit ; il faut étudier la suite pour voir ce que Dieu pense de lui. Voici les générations de Noé : Noé fut un homme juste, accompli dans son temps ; Noé plut à Dieu. Voilà une manière étrange de commencer une généalogie. L’Écriture sainte commence par dire : voici les générations de Noé ; elle excite notre attention comme si elle allait raconter sa généalogie, dire quel était son père, d’où venait sa famille, comment lui-même était venu au monde, et enfin tout ce que l’on trouve d’ordinaire dans les généalogies ; mais elle laisse tout cela de côté, et, se mettant au-dessus des usages reçus, elle dit : Noé était un homme juste, accompli dans son temps ; Noé plut à Dieu. Voyez quelle admirable généalogie ! Noé était un homme. Remarquez que le nom qui nous est commun à tous est employé ici pour glorifier le juste. Car, tandis que les autres, plongés dans les voluptés charnelles, avaient perdu la qualité d’hommes, Noé seul, au milieu d’un si grand peuple, gardé la vraie condition de l’homme. Ainsi il est homme parce qu’il cultive la vertu. En effet, avoir l’apparence d’un homme, les yeux, le nez, la bouche ; les joues et tout le reste, ce n’est pas là ce qui fait l’homme, car tout cela appartient au corps. Nous appelons homme celui qui conserve intact le type de l’homme. Mais comment le définir ? On dit que c’est un être raisonnable. Quoi donc ! les méchants n’avaient-ils pas aussi la raison ? Si, mais cela ne suffit pas : il faut aussi chercher le bien et fuir le mal, dominer les mauvaises passions et obéir aux ordres du Seigneur : voilà l’homme !
4. Pour vous persuader que c’est l’usage de l’Écriture de ne pas accorder le nom d’hommes aux hommes qui se livrent au vice et négligent la vertu, écoutez les paroles de Dieu, que je vous citais hier : Mon Esprit ne restera pas chez ces hommes, car ils ne sont que chair. Cela veut dire : Je leur ai donné une nature composée de chair et d’âme, mais la chair les a tellement enveloppés qu’ils ne songent plus qu’à elle et négligent les vertus de l’âme. Voyez-vous comment, à cause de leur perversité, il les appelle de la chair et non des hommes ? Et une autre fois, comme vous allez le voir, l’Écriture dit qu’ils ne sont que de la terre, parce qu’ils s’absorbent dans les pensées de la terre, car elle dit : La terre était corrompue devant Dieu. Il ne s’agit pas ici de la terre proprement dite ; ce sont les habitants eux-mêmes qu’elle appelle terre. Dans un autre endroit, elle ne les appelle ni chair, ni terre, mais elle ne les regarde pas comme vivants parce que la vertu leur manque. Écoutez les cris du prophète au milieu de Jérusalem et de cette multitude innombrable : Je suis venu, et il n’y avait pas un homme ; j’ai appelé et personne ne m’entendait. (Is. 50,2) Ce n’était pas qu’il n’y eût bien du monde présent, mais c’était qu’ils ne profitaient pas plus des paroles du prophète que les absents. Et ailleurs encore : Courez et voyez s’il y en a un seul qui soit juste et équitable, et je lui serai propice. (Jer. 5, 1) Vous avez vu que l’Écriture sainte ne donne le nom d’homme qu’à celui qui cultive la vertu : quant aux autres, ils ne sont rien pour elle, mais elle les appelle quelquefois terre et quelquefois chair. Voilà pourquoi, après avoir annoncé le commencement de la généalogie des justes, la sainte Écriture nous dit d’abord : Noé était un homme. En effet, lui seul alors est un homme : les autres ne sont plus des hommes, quoiqu’ils en gardent l’apparence ; ils ont été changés en animaux sans raison, et ont perdu par leur volonté perverse la noblesse