Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/151

Cette page n’a pas encore été corrigée

profitons de la patience de Dieu, puisqu’il en est temps encore, employons tout notre zèle à suivre ardemment la vertu et à fuir le vice avec horreur. Si nous n’avons pas un immense amour pour l’une et autant de haine pour l’autre, nous ne pourrons jamais éviter le mal ni embrasser le bien. Pour savoir quel effet produit la vertu chez ceux qui la désirent et brûlent pour elle, écoutez le prophète : Les jugements de Dieu sont vrais et justifiés par eux-mêmes : ils sont plus désirables que l’or et les pierreries. (Ps. 18,10) Sans doute, ils sont bien plus désirables, mais nous ne connaissons pas de matières plus précieuses ; aussi il ajoute : et plus doux que le miel le plus pur. Ici encore il a employé cette comparaison parce qu’il n’y a rien de plus doux que le miel. Or, nous voyons que ceux qui ont un désir ardent et insensé pour amasser des richesses, y déploient tout leur zèle et tous leurs efforts, sans jamais se rassasier ; en effet, l’avarice est une ivresse insatiable, et de même que les ivrognes sentent leur soif s’enflammer à mesure qu’ils se gorgent de vin, de même ceux-ci ne peuvent modérer leur folie indomptable, et plus leurs richesses s’augmentent, plus leur avidité s’enflamme ; cette détestable passion ne leur laisse point de trêve qu’elle ne les ait poussés à l’abîme du mal. Eh bien ! s’ils mettent autant de soins et d’ardeur à assouvir cette convoitise, cause de tous leurs maux, n’est-il pas bien plus juste que ces jugements de Dieu, si préférables à l’or et aux pierreries, soient toujours présents à notre esprit, que nous mettions la vertu au-dessus de tout, que nous arrachions de notre cœur ces passions funestes en réfléchissant que le plaisir temporel fait naître d’ordinaire une douleur éternelle et des tourments sans fin ; enfin que nous évitions de nous tromper nous-mêmes, et de croire que tout finit pour nous ici-bas ? Cependant c’est là ce que pensent bien des gens, quoiqu’ils ne le disent pas : ils prétendent croire à la résurrection et à la rétribution future ; mais je fais attention à la conduite journalière et non aux paroles. Si vous attendez la résurrection et la rétribution, pourquoi cet empressement pour la gloire de la vie présente ? Pourquoi nous tourmenter chaque jour à entasser des pièces d’or plus nombreuses que les grains de sable, à acheter des champs, des maisons, des bains, souvent à se les approprier par la rapine et l’avidité, et en accomplissant cette parole du prophète : Malheur à ceux qui réunissent une maison à une autre, un champ à une autre, pour dépouiller le voisin ! (Is. 5,8) N’est-ce pas ce qui se fait tous les jours ? Un homme dit : cette maison donne de l’ombre à la mienne, et il imagine mille prétextes pour s’en emparer ; un autre enlève à un pauvre son champ pour le réunir au sien. Mais voici le plus extraordinaire, le plus inouï et le moins pardonnable de tout : un homme n’a : qu’une seule habitation, que souvent il ne peut pas quitter, quand même il voudrait changer de résidence, soit à cause de ses occupations, soit que la maladie le retienne ; cet homme cependant, partout et presque dans toutes les villes, veut posséder des monuments de sa cupidité, élever des colonnes pour immortaliser ses vices ; et tous les péchés par lesquels il a ramassé tout cela, il ne les sent pas peser sur sa tête de toute la lourdeur de leur poids. Il abandonne à d’autres l’avantage qu’on peut retirer de tous ces biens, non seulement après sa mort, mais aussi pendant sa vie. C’est avec peine qu’il fait cet abandon, mais ses amis dissipent et même ruinent tout, sans qu’il profite de la moindre chose. Et que parlé-je de profit ! Comment un homme qui n’a qu’un seul estomac pourrait-il dévorer tant de richesses ?
7. La cause de tout ce mal est l’orgueil et le désir de faire donner son nom à ces champs, à ces bains, à ces édifices. Quel avantage t’en revient-il, homme insensé, lorsque bientôt après la fièvre te prend, la vie t’abandonne tout à coup et te laisse nu et dépouillé de tout, mais surtout de vertu ? pour t’envelopper tu n’as plus que les injustices, les rapines, l’avarice, les fraudes, les trahisons, ainsi que les gémissements, les sanglots, les larmes des orphelins. Comment pourras-tu, chargé du poids de tes péchés, passer par cette porte étroite qui ne pourra jamais donner accès à un si énorme volume ? Il te faudra rester dehors et, ainsi écrasé soins ton fardeau, te repentir inutilement, lorsque tu auras devant les yeux les préparatifs de tes tourments, ce feu terrible qui ne doit jamais s’éteindre, et le ver qui ne doit jamais mourir. Si donc nous avons quelque souci de notre salut, tandis qu’il en est encore temps, fuyons l’iniquité, recherchons la vertu et méprisons la vaine gloire. On dit qu’elle est vaine, parce qu’elle est vide et n’a rien de solide ni de stable ; elle ne fait que tromper les yeux, et à peine l’a-t-on entrevue