Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/148

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’un libertinage effréné. Et ce n’est pas tout ; ils prirent pour épouses toutes celles qu’ils choisirent. Cela achève de nous montrer l’excès de leurs désordres ; vaincus par la beauté, ils ne purent imposer un frein à la violence de leurs désirs, mais ils furent enivrés et domptés par la vue au point de s’aliéner, par cette conduite impie, le cœur de Dieu. Et pour nous faire concevoir qu’ils ne s’attachaient point au mariage ni à la paternité, l’Écriture ajoute : Quand ils virent qu’elles étaient belles, ils prirent pour épouses toutes celles qu’ils choisirent. Quoi donc ? faudra-t-il blâmer les simples regards ?
Non, ce n’est pas l’œil qui est cause de notre ruine, c’est la faiblesse de notre volonté et le dérèglement de notre concupiscence. Car l’œil est fait pour célébrer le Créateur en voyant les créatures de Dieu. Ainsi l’œil est fait pour voir ; mais si la vue nous porte au mal, c’est la faute de la pensée qui règne à l’intérieur. Car nos organes nous sont utiles et tous sont donnés par le Seigneur pour faire le bien ; en même temps il leur a donné pour les gouverner une substance incorporelle, c’est-à-dire l’âme. Mais celle-ci peut être négligente et lâcher les rênes, comme un écuyer maladroit qui laisse échapper les guides, tandis que les chevaux et lui-même sont entraînés dans le précipice ; de même notre volonté, quand elle tee sait pas faire de ses membres l’usage qu’il convient, se laisse submerger par ses désirs désordonnés. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ, connaissant la fragilité de notre nature et la faiblesse de notre volonté, nous a prémunis par une loi destinée à modérer la curiosité de nos regards, et à éteindre l’incendie avant sa naissance ; il dit : Celui qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis l’adultère dans son cœur. (Mt. 5,27) Ainsi, dit-il, je vous défends les regards coupables pour vous préserver des actions coupables. Ne croyez pas pécher par l’action seule ; c’est la volonté qui est condamnable. Ces hommes furent donc séduits par l’aspect de la beauté. Voyant qu’elles étaient belles, ils prirent pour épouses toutes celles qu’ils choisirent. Cependant, même après leurs actions coupables et leurs pensées impures, admirez encore là bonté de Dieu. Le Seigneur Dieu dit : Mon Esprit ne restera pas perpétuellement dans ces hommes, car ce sont des hommes de chair. Leurs jours seront cent vingt ans. On peut voir dans ce peu de paroles l’abîme de la miséricorde. Le Seigneur Dieu dit : Mon Esprit ne restera pas perpétuellement dans ces hommes, car ce sont des hommes de chair. Par esprit il entend ici sa puissance qui nous protège, et il prédit ainsi leur perte. Et pour faire voir que c’est bien de cela qu’il s’agit, il ajoute : parce que ce sont des hommes de chair ; c’est-à-dire qui s’abandonnent tout entiers aux œuvres de la chair en négligeant les biens de l’âme, et passent leur vie comme s’ils n’étaient formés que de chair et si l’âme leur manquait. C’est, en effet, un usage constant de l’Écriture d’appeler chair les hommes charnels ; pour les hommes vertueux, au contraire, elle dit qu’ils n’ont pas de chair. C’est ainsi que s’exprime saint Paul : Vous n’êtes pas de chair (Rom. 8,9) ; ce n’était point qu’ils n’eussent pas de chair, mais c’est que, malgré cela, ils étaient supérieurs aux impressions charnelles et aux sens. Car, de même qu’il leur disait : Vous n’êtes pas de chair, parce qu’ils méprisaient tout ce qui était charnel ; on appelle hommes de chair ceux qui sont continuellement occupés de choses charnelles. Comme ce sont des hommes de chair, je ne tolérerai pas plus longtemps la souillure de leurs péchés.
4. Vous avez vu combien son indignation était grande, ses menaces terribles ; voyez comme la miséricorde se mêle à cette indignation et à ces menaces. Tel est Notre-Seigneur : souvent il nous fait des menaces, non pour les accomplir, mais pour nous corriger et ne pas les réaliser. Car s’il voulait punir, pourquoi prévenir ? Mais comme il ne le voudrait pas, il hésite et diffère toujours, il attend, il prévient, offrant aux coupables une occasion d’éviter le châtiment en fuyant le vice et pratiquant la vertu. Ainsi il a commencé par menacer d’une destruction générale ; en effet, ces mots : Mon Esprit ne restera pas perpétuellement dans ces hommes, car ce sont des hommes de chair ; ces mots signifient : je ne les laisserai pas vivre longtemps. Cependant, non content des cinq cents ans de patience qu’il avait montrée pendant toute la vie de Noé, dont le nom seul devait avertir, il recule et diffère encore l’effet de son indignation, il le reporte à une époque Plus éloignée et il leur dit : Je vous ai menacés, j’ai annoncé publiquement la colère que la multitude de vos péchés a justement excitée en moi ; mais comme je désire le salut, même des pécheurs incurables, et que je ne voudrais faire périr personne, je vous accorde encore