Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 5, 1865.djvu/134

Cette page n’a pas encore été corrigée

aimé, étendu par terre, mort, privé de mouvement. Adam avait bien entendu prononcer son arrêt : Tu es terre et tu retourneras en terre ; et encore : Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort ; mais jusque-là la sentence était demeurée en paroles, et nos premiers parents n’avaient pas encore vu ce que c’était que la mort ; Caïn poussé par sa haine contre son frère, et par l’envie qui le rongeait intérieurement, se jeta sur Abel et le tua, et il fit voir à ses parents un horrible spectacle. C’est pourquoi la mère, à qui la naissance d’un nouvel enfant aidait à soulever un peu le poids de son deuil, rend grâce au Seigneur de la consolation qu’il lui accorde, mais en même temps elle veut perpétuer le souvenir du fratricide, punissant ainsi à son tour le coupable d’un nouveau et sévère châtiment.
Voyez-vous quel mal c’est que le péché ; comme il inflige une marque publique de honte et d’infamie à ceux qui le commettent ; comme après avoir privé Caïn du secours d’en haut, il en a fait le jouet du monde ? Voyez-vous comme, par son détestable péché, il est devenu odieux même à ses parents, que la nature cependant incline si fort à la tendresse pour leurs enfants. Fuyons donc, je vous en conjure, ce péché qui nous environne de tant de maux, et embrassons la vertu, qui nous procurera la faveur céleste, et éloignera de nous la punition.
Et il naquit un fils à Seth : et il lui donna le nom d’Enos ; celui-ci mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur. Remarquez ici de quelle manière les hommes prennent peu à peu l’habitude de témoigner à Dieu leur reconnaissance dans les noms qu’ils donnent à leurs enfants. Seth eut donc un fils et il le nomma Enos, raconte la sainte Écriture ; puis pour interpréter le sens de ce nom elle ajoute : Celui-ci mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur. Aussi est-ce par Seth, et par Enos et leurs descendants que le bienheureux Prophète établira sa généalogie ; désormais il laisse de côté Caïn et sa descendance depuis Lamech. Caïn a perdu son privilège de naissance, je veux dire son privilège de premier-né : il l’a perdu librement par sa méchanceté, et lui et sa postérité sont exclus de la liste. Au contraire, Seth obtient par sa vertu une prérogative que la nature lui a refusée : les droits de primogéniture lui sont transférés en dépit de la nature, parce que sa volonté s’est tournée vers le bien, et ses descendants sont appelés à l’honneur de former la généalogie des premiers ancêtres de l’humanité. Enos fut ainsi appelé à cause de sa confiance à invoquer le nom du Seigneur Dieu, et ceux qui naîtront de lui porteront le même nom. Ici notre bienheureux Prophète suspend sa narration, et remonte encore une fois à l’origine pour commencer un autre récit.
5. Mais ne nous lançons pas dans ce nouveau chapitre, pour ne pas prolonger notre instruction au-delà des bornes ; à l’exemple de l’auteur sacré, arrêtons-nous à cet endroit, et remettons – à une autre fois, si Dieu le permet, l’explication de la suite. Maintenant je voudrais exhorter votre charité à profiter de plus en plus de notre enseignement, à vous examiner chaque jour, vous demandant à vous-mêmes quel fruit vous avez retiré de telle instruction, quel fruit de telle autre ; à ne pas vous contenter de recevoir nos paroles dans vos oreilles sans les faire pénétrer plus loin, mais à leur ouvrir vos cœurs pour qu’elles s’y fixent à demeure, affermies et fortement implantées par la méditation. Je voudrais aussi que ; non contents de vous instruire pour vous-mêmes, vous devinssiez des maîtres pour les autres, pour les avertir et les guider dans le chemin de la vertu, non seulement par vos paroles, mais surtout par vos exemples. Songez que si vous vouliez, chaque fois que vous venez ici, en remporter quelque fruit, corriger quelque chose des mauvaises passions qui vous tourmentent, songez-en combien peu de temps vous pourriez parvenir au faîte même de la vertu. En effet, nous n’oublions jamais dans nos instructions de vous inculquer les principes de la vie parfaite, afin de vous amener à extirper de vos âmes ces passions qui leur donnent la mort, telles que la colère, la jalousie, l’envie. Celles-là supprimées, votre amour déréglé des richesses se corrigera plus aisément, et quand vous l’aurez enfin éteint, il vous sera beaucoup plus facile de vous défaire de vos pensées déshonnêtes, de vos impures imaginations.
La racine de tous les maux, c’est en effet l’amour de l’argent. (1Tim. 6,10) Si donc nous tranchons la racine, si nous l’arrachons entièrement, nous viendrons ensuite facilement à bout des rameaux. Oui, dirai-je à mon tour, la forteresse des maux, la citadelle de tous les péchés, c’est la rage des richesses, et si nous voulions en triompher, nous aurions