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plus pour admirer le Dieu bon lorsqu’il use d’une si grande patience. Car Dieu c’est un médecin, c’est un père très-tendre : comme médecin il apporte tous ses soins à la guérison de ceux qui souffrent : comme père tendre il cherche à ramener à leur félicité première ceux de ses enfants qui sont déchus par leur faute des privilèges de leur naissance. Il veut donc en raison de son immense bonté témoigner de la bienveillance à ce grand coupable, et il lui dit : Où est ton frère Abel ? Etonnante, et infinie patience de Dieu ! S’il interroge, ce n’est pas qu’il l’ignore : il avait déjà interrogé le père après sa faute, rien ne s’opposait à ce qu’il en usât de même avec le fils. Envoyant Adam qui se cachait à cause de la honte que lui donnait sa nudité, il lui demanda : Où es-tu ? (Gen. 3,9) Il n’ignorait pas où il était, mais il voulait, en l’excitant à la confiance, l’amener à effacer son péché par l’aveu qu’il en ferait. Telle est sa conduite ordinaire : il provoque et exige d’abord la confession des péchés, puis il en accorde le pardon ; c’est pourquoi il interroge maintenant Caïn, et lui dit : Où est ton frère Abel ? Il feint d’ignorer, ce Maître miséricordieux ; il essaie d’amener par ses questions le coupable à l’aveu de son péché, afin qu’il puisse ainsi obtenir son pardon et trouver miséricorde. Où est ton frère Abel ?
Que répond cet homme sans cœur, sans entrailles, ce téméraire, cet impudent ? Il devait bien penser que Dieu n’ignorait rien quoiqu’il interrogeât, qu’il voulait provoquer une confession, en même temps que nous apprendre qu’il ne faut condamner personne avant de l’avoir entendu et convaincu ; il devait se souvenir du conseil de Dieu, qui avait essayé d’empêcher ce crime ; de Dieu qui voyant d’avance ses coupables desseins, avait tenté d’en prévenir l’exécution ; il devait faire toutes ces réflexions et ne pas pousser plus loin sa criminelle folie ; il devait dire ce qu’il avait fait, montrer sa plaie au médecin, et recevoir de lui des remèdes pour sa guérison : mais au contraire il aggrave encore sa plaie, il rend sa blessure plus profonde. Il répondit : je ne sais. Quelle impudente réponse ! Celui à qui tu parles est-il un homme, pour que tu essayes de le tromper ? Ne sais-tu pas, homme misérable, quel est Celui avec qui tu parles ? Ne vois-tu pas que c’est par bonté qu’il t’interroge, qu’il cherche une occasion de faire éclater sa miséricorde, qu’il veut faire pour toi tout ce qui dépend de lui, afin qu’au jour de la condamnation tu n’aies plus aucune excuse à présenter, puisque tu auras couru de toi-même au-devant du châtiment ?
Et il répondit : je ne sais. Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? Remarquez ici avec moi la force d’une conscience accusatrice, voyez comment, poussé par cette conscience, il ne se borne pas à dire : Je ne sais, mais il ajoute : est-ce que je suis le gardien de mon frère ? Parole par laquelle il se condamne, peu s’en faut, expressément. Oui, certainement, si l’on voulait avec toi procéder à la rigueur, on te dirait que, selon la loi de la nature, tu étais obligé d’être le gardien du salut de ton frère. C’est en effet une loi de la nature que ceux qui sont nés du même sein se doivent mutuellement garder et défendre. Si tu ne voulais pas remplir ce devoir, ni être le gardien de ton frère, pourquoi es-tu devenu son meurtrier ? pourquoi as-tu tué celui qui ne l’avait point fait de mal ? Croyais-tu donc qu’il ne se trouverait aucun témoin pour te convaincre ? Mais attends, et tu verras s’élever un accusateur dans celui-même que tu as tué ; oui, ce frère mort et étendu par terre va t’accuser à haute voix, toi qui vis, toi qui marches.
Et Dieu dit : pourquoi as-tu fait cela ? Que de choses dans cette brève parole ! Pourquoi as-tu fait cela, commis cet abominable forfait, cette action exécrable, ce crime inexpiable, cette œuvre d’une incroyable folie, ce meurtre, péché nouveau, inouï, et pour la première fois introduit par, ta main dans la vie des hommes ? Pourquoi as-tu commis ce grand, cet affreux péché, Je plus grief qui se puisse commettre ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Penses-tu que je sois comme les hommes qui n’entendent d’autre voix que celle dont la langue est l’organe ? Je suis Dieu, et j’entends la voix du sang que le meurtre a versé ; j’entends les plaintes du malheureux terrassé par l’homicide. Vois-tu à quelle distance porte la voix de ce sang ! elle monte de la terre jusqu’au ciel, elle traverse même les régions célestes, arrive pins haut que les puissances d’en haut, jusqu’au trône du grand R. où elle accuse en gémissant ton parricide. La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Ce n’est pas un étranger, un ennemi que ta main a frappé ; c’est ton frère, ton frère qui ne t’avait nullement offensé. Peut-être la bienveillance que je lui ai montrée