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plus gras, c’est-à-dire tout ce qu’il y avait de meilleur et de plus excellent. Mais à l’égard de Caïn, l’Écriture n’entre dans aucun détail ; elle se contente de nous dire qu’il offrit un sacrifice des fruits de la terre et nous laisse ainsi supposer qu’il prit les premiers qui lui tombèrent sous la main, et qu’il dédaigna de choisir les plus beaux.
Je l’ai déjà dit, et je ne cesserai de le redire. Si Dieu reçoit nos sacrifices, ce n’est pas qu’il en ait besoin. Il veut seulement nous faciliter les moyens de lui témoigner notre reconnaissance. C’est pourquoi l’homme qui offre en sacrifice les biens mêmes qu’il tient de Dieu, doit, pour remplir ce devoir religieux, choisir tout ce qu’il a de meilleur. Autrement, il ne comprendrait pas combien Dieu lui est supérieur et combien il est lui-même honoré de remplir ces fonctions sacerdotales. Observez aussi, mon cher frère, et concluez de cet exemple quels rigoureux châtiments mérite le chrétien qui, par lâcheté, néglige son salut. J’ajoute que nul docteur n’instruisit Caïn et Abel et que nul conseiller ne leur suggéra l’idée d’offrir un sacrifice : leur conscience seule les en avertit, et les lumières que le Seigneur avait répandues dans l’esprit de l’homme. Ce fut aussi la pureté de l’intention qui fit agréer le sacrifice de l’un et la malice de la volonté qui fit rejeter celui de l’autre.
Et Dieu, dit l’Écriture, regarda Abel et ses dons. Voyez-vous comme s’accomplit ici cette parole de l’Évangile : les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ? (Mt. 19,30) Car celui qui avait le privilège du droit d’aînesse, et qui le premier offrit son sacrifice, fut mis au-dessous de son frère, parce que son intention n’était pas droite. Tous deux offrirent un sacrifice ; mais c’est seulement d’Abel que l’Écriture dit : le Seigneur regarda Abel et ses dons. Que signifie ce mot, regarda ? il marque que Dieu approuva l’action d’Abel, loua son intention, couronna sa bonne volonté et, en un mot, fut satisfait de sa conduite. Car si nous osons dire quelque chose de Dieu et ouvrir la bouche pour parler de cet Être éternel, nous ne pouvons le faire, parce que nous sommes hommes, que dans un langage humain. Mais, ô prodige ! Dieu regarda Abel et ses dons, c’est-à-dire l’offrande qu’il lui fit de ses brebis les plus grasses et les meilleures. Ainsi Dieu regarda Abel, parce que son sacrifice partait d’un cœur pur et sincère. Il regarda aussi ses dons, parce que les brebis étaient sans tache et précieuses, soit par rapport à l’intention de celui qui les offrait, soit en elles-mêmes, puisqu’elles avaient été prises parmi les premiers-nés du troupeau, et qu’elles en étaient les plus grasses, c’est dire qu’elles étaient un choix fait dans tout ce qu’il y avait de meilleur.
Et Dieu regarda Abel et ses dons ; mais il ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. (Gen. 7,5) Le sacrifice qu’Abel offrit, avec un cœur pur et une volonté droite, fut donc agréable au Seigneur, qui l’agréa et qui daigna même le louer. Ainsi il appela dons l’offrande d’Abel pour mieux honorer la sincérité de son intention. Mais il ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. Observez ici avec quelle exactitude s’exprime l’écrivain sacré. En disant que Dieu ne regarda point Caïn, il nous apprend qu’il rejeta ses présents, et en appelant ceux-ci du nom de sacrifices, il nous donne une utile leçon. L’action et la parole divine nous apprennent donc que le Seigneur exige nos sacrifices comme un témoignage extérieur des sentiments de notre âme et comme une protestation publique que nous le reconnaissons pour notre Maître et pour le Créateur qui nous a tirés du néant. Et en effet, l’Écriture, qui nomme dons l’offrande de quelques brebis, et sacrifices celle de quelques fruits de la terre, nous enseigne que le Seigneur recherche la pureté de l’intention bien plus qu’il ne se soucie qu’on lui offre des animaux ou des fruits. C’est donc cette pureté qui rendit le sacrifice d’Abel agréable à Dieu ; et c’est une disposition toute contraire qui fit rejeter celui de Caïn.
Il faut également entendre dans un sens digne de Dieu ces paroles : Le Seigneur regarda Abel et ses dons ; mais il ne garda ni Caïn, ni ses sacrifices. Elles signifient que le Seigneur fit comprendre à l’un qu’il approuvait sa bonne volonté, et à l’autre qu’il repoussait son ingratitude. Telle fut la conduite de Dieu ; et maintenant expliquons le verset suivant. Et Caïn fut violemment attristé, et son visage fut abattu. D’où provenait cette violente tristesse ? d’un double principe : Le Seigneur avait rejeté son sacrifice, et il avait agréé celui d’Abel. Voilà donc pourquoi Caïn fut violemment attristé, et pourquoi son visage fut abattu. Ces deux causes se réunissaient pour aggraver sa tristesse ; le Seigneur avait repoussé son offrande, et il avait reçu celle d’Abel. Or, puisqu’il avait