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de ce pompeux attirail ? Vous oubliez donc que les habits sont une suite du châtiment infligé à nos premiers parents. Aussi l’Apôtre nous dit-il : Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents. (1Tim. 6, 8) Ainsi il faut borner notre sollicitude au strict nécessaire ; et il suffit que notre corps soit couvert, sans nous inquiéter de la beauté, ni de la variété des habits. Mais poursuivons le récit de la Genèse.

Et le Seigneur Dieu dit : Voici Adam devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal ; maintenant donc craignons qu’il n’avance la main et ne prenne aussi de l’arbre de vie, et qu’il n’en mange et ne vive éternellement. Et le seigneur Dieu le mit hors du jardin de délices, pour qu’il cultivât la terre d’où il avait été tiré. (Gen. 3,22, 23) Ici encore le Seigneur use d’expressions proportionnées à notre faiblesse : Et le Seigneur Dieu dit : voici Adam devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal. Quelle simplicité de langage ! mais comprenons-le dans un sens digne de Dieu. Il nous rappelle donc de quelle manière le démon, par l’organe du serpent, trompa nos premiers parents. Il leur avait dit : Si vous mangez de ce fruit, vous serez comme des dieux ; et ils en mangèrent dans le fol espoir de s’égaler à la divinité. C’est pourquoi Dieu, voulant de nouveau leur faire sentir la grièveté de leur faute, et l’illusion de leurs espérances, dit ironiquement : Voici Adam devenu comme l’un de nous.

Cet amer reproche était tout personnel et ne pouvait que jeter Adam dans une extrême confusion. C’est comme si le Seigneur lui eût dit : tu as transgressé mon commandement pour t’égaler à moi. Eh bien ! ce que tu as désiré est arrivé, ou plutôt ce que tu ne désirais pas, mais ce que tu méritais justement. Car tu es devenu comme l’un de nous, sachant le bien et le mal. Le démon avait encore dit à Eve, par l’organe du serpent : Vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Aussi le Seigneur ajouta-t-il : Et maintenant craignons qu’il n’avance la main, et ne prenne de l’arbre de vie, et qu’il n’en mange et ne vive éternellement. Ici encore se manifeste la miséricorde divine ; mais il nous faut approfondir chacune de ces paroles pour n’en rien perdre, et en découvrir toutes les richesses cachées. Lorsque Dieu fit un commandement à Adam, il lui permit l’usage de tous les fruits, à l’exception d’un seul, le menaçant de mort, s’il osait y toucher. Mais en lui faisant ce commandement et cette menace, il ne lui dit rien de l’arbre de vie. Adam, créé immortel, pouvait donc, selon moi, et autant que je comprends ce passage, manger du fruit de cet arbre, comme de tous les autres ; et ainsi il eût pu s’assurer l’immortalité, puisqu’il n’avait reçu aucune défense touchant cet arbre.

3. Si l’on me demandait curieusement pourquoi cet arbre est appelé l’arbre de vie, je répondrais que la raison humaine est incapable par elle-même de comprendre toutes les œuvres de Dieu. Nous savons seulement qu’il a plu au Seigneur que, dans le paradis terrestre, l’homme eût comme une matière à la vertu d’obéissance et au péché de désobéissance. C’est pourquoi il planta ces deux arbres, l’un de vie et l’autre de mort, pour ainsi parler. Car c’est pour avoir mangé du fruit de ce dernier contre l’ordre de Dieu, que l’homme a été assujetti à la mort. Mais dès l’instant ou il toucha au fruit défendu, le péché entra dans le monde et l’homme devint sujet à la mort, et à toutes les infirmités de la nature. Cependant cette mort était dans les conseils divins une grâce plus encore qu’un châtiment ; aussi le Seigneur ne voulut-il plus qu’Adam habitât le paradis terrestre. Il l’en chassa donc, lui prouvant, par cette rigueur même, qu’il n’agissait que par bonté et dans son intérêt. Mais cette doctrine exige un examen plus approfondi de ce passage.

Et maintenant, dit le Seigneur, craignons qu’Adam n’avance la main, et ne prenne aussi du fruit de l’arbre de vie, et qu’il n’en mange et ne vive éternellement. C’est comme s’il eût dit : Un excès d’intempérance a porté l’homme à transgresser mon commandement, et son péché l’a soumis à la mort. Aujourd’hui donc, s’il osait toucher au fruit de l’arbre de vie, il acquerrait l’immortalité et ne cesserait de pécher. C’est pourquoi il lui est avantageux que je le chasse du paradis terrestre ; et je lui donnerai en cela plutôt une marque de bonté que de colère et de vengeance. Ainsi parla le Seigneur ; et il est vrai de dire que ses châtiments comme ses bienfaits font éclater sa miséricorde. Ainsi ce dur exil devint pour Adam une salutaire leçon. Car si Dieu n’eût prévu que l’impunité rendrait les hommes plus coupables, il n’eût point chassé Adam du paradis terrestre.