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donnée pour compagne, m’a présenté du fruit de cet arbre, et j’en ai mangé. Cette réponse est en elle-même En cri de détresse et de douleur ; et il semble au premier abord qu’elle est un appel à cette miséricorde divine qui toujours surpasse en bonté et en indulgence la malice de nos péchés. Et en effet, le Seigneur venait, par son ineffable patience, de toucher le cœur d’Adam et de lui faire sentir la grièveté de sa faute ; et voilà que celui-ci cherche à s’excuser en disant : la femme que vous m’avez donnée pour compagne m’a présenté du fruit de cet arbre et j’en ai mangé. C’est comme s’il eût dit : J’ai péché, je le sais, mais la femme que vous m’avez donnée pour compagne, et dont vous avez dit vous-même : faisons à l’homme une aide qui lui soit semblable, a été la cause de ma chute. Pouvais-je soupçonner que cette femme que vous m’aviez donnée pour compagne me serait un sujet de honte et d’ignominie ? je savais seulement que vous l’aviez formée pour être ma consolation. Vous me l’avez donnée, vous me l’avez amenée, et j’ignore quel motif l’a portée à me présenter le fruit que j’ai mangé.
Cette réponse semble donc au premier abord justifier Adam ; mais en réalité sa faute était inexcusable. Car comment excuseras-tu, pouvait lui repartir le Seigneur, l’oubli de mon commandement, et l’assentiment accordé à la femme plutôt qu’à mes paroles ? Celle-ci t’a offert le fruit ; soit, mais le souvenir de ma défense, et la crainte du châtiment devaient suffire pour te détourner d’en manger. Ignorais-tu mes ordres, et ne connaissais-tu pas mes menaces ? Dans ma prévoyante tendresse je vous avais avertis l’un et l’autre afin que vous évitassiez ces malheurs. Aussi quoique la femme soit à ton égard l’instigatrice du péché, tu ne saurais être innocent. Eh ! ne devais-tu pas te montrer fidèle à mon commandement, repousser le présent fatal et même représenter à la femme l’énormité de sa faute. Tu es le chef de la femme ; et elle n’a été formée que pour toi. Mais tu as interverti l’ordre, et, au lieu de la retenir, tu t’es laissé entraîner par elle. Les membres devaient obéir à la tête, et, par une coupable interversion, ce sont les membres qui ont commandé, en sorte que les rangs et l’ordre ont été renversés. Et voilà comment tu es tombé dans cette profonde humiliation, toi qui étais revêtu de gloire et de splendeur.
Qui pourrait donc assez déplorer ton infortune et la perte de biens si précieux ? Toutefois seul tu as fait ton malheur, et tu ne saurais en attribuer la cause qu’à ta propre faiblesse. Car si tu n’y avais consenti, jamais la femme ne fût entraîné dans cet immense désastre. A-t-elle employé à ton égard les prières, le raisonnement ou la séduction ? Il lui a suffi de te présenter le fruit, et soudain avec une complaisance extrême tu en as mangé, sans te souvenir de ma défense. Tu as donc cru que je t’avais trompé, et que je ne t’avais interdit l’usage de ce fruit que pour te priver, par jalousie, d’un état plus glorieux encore. Mais comment aurais-je pu te tromper, moi qui t’avais comblé de tant de biens ! et n’était-ce point déjà une grande bonté que de t’avoir à l’avance prévenu des suites qu’entraînerait ta désobéissance. Je voulais donc que tu évitasses le malheur où tu es tombé. Mais tu as tout méprisé, et aujourd’hui, qu’une dure expérience te fait sentir l’énormité de ta faute, il ne te reste plus qu’à t’en reconnaître coupable, sans en accuser ton épouse.
5. C’est ainsi que le Seigneur reprochait à Adam la grièveté de son péché ; et celui-ci, tout en l’avouant, cherchait à se justifier en le rejetant sur la femme. Mais voyons maintenant avec quelle bonté ce même Dieu s’adresse alors à celle-ci. Et Dieu, ajoute l’Écriture, dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela  ? tu as entendu ton époux qui t’accuse de toute cette désobéissance, et qui en fait peser la responsabilité sur toi qui lui avais été donnée pour lui venir en aide, et qui n’avais été tirée de sa propre substance que pour être sa consolation. Pourquoi donc, ô femme, as-tu commis ce péché, et pourquoi as-tu attiré sur lui et sur toi cette profonde humiliation ? Quels avantages te procure aujourd’hui cette criminelle intempérance, et quels fruits retires-tu de ce coupable égarement ? Tu as été séduite par ta faute, et tu as rendu ton époux complice de ton péché.
Mais, que répond la femme ? Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé du fruit. Voyez-vous comment, elle aussi, cherche dans son effroi à excuser sa désobéissance ? Adam avait rejeté sa faute sur la femme, en disant : elle a cueilli le fruit et me l’a présenté, et j’en ai mangé. Et de même celle-ci avoue son péché, et ne trouve nulle autre excusa que de dire : le serpent m’à trompée, et j’ai mangé du fruit. Ce maudit animal a été la cause de ma chute, et ce sont ses pernicieux conseils qui m’ont entraînée dans cette profonde humiliation. Il m’a trompée, et j’ai mangé du fruit.
Ne passons point légèrement sur ces paroles, mes très-chers frères ; car un examen attentif nous y fera découvrir d’utiles instructions. Les jugements du Seigneur sont terribles et effrayants ;