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qu’elle ne vît auparavant, mais c’est que Dieu éclaira son intelligence ; en sorte que ce mot ouvrit doit s’entendre plutôt de l’esprit que de l’organe de la vue.
Je donnerai la même solution à une seconde difficulté. Car quelques-uns disent : pourquoi cet arbre est-il appelé l’arbre de la science du bien et du mal ? Et l’on en voit même qui s’opiniâtrent à soutenir qu’Adam n’eut le discernement du bien et du mal qu’après avoir mangé du fruit de cet arbre, mais c’est une pure extravagance. Déjà même, et comme pour y répondre par avance, j’ai parlé longuement de la science infuse d’Adam ; or, cette science se révéla par la justesse des noms qu’il imposa à tous les oiseaux et à tous les animaux, et par le don de prophétie qui en fut le radieux couronnement. On ne saurait donc affirmer que celui qui nomma tous les animaux, et qui énonça au sujet de la femme une si admirable prophétie, ignorât le bien et le mal. D’ailleurs une telle, supposition ferait, ce qu’à Dieu ne plaise ! rejaillir sur Dieu même un horrible blasphème. Car eût-il pu donner des ordres à l’homme, si celui-ci eût invinciblement ignoré que la désobéissance était un mal ? Mais il n’en a pas été ainsi ; et Adam savait parfaitement bien ce qu’il faisait, puisque dès le principe il posséda le libre arbitre. Dans le cas contraire, sa désobéissance n’eût pas été plus digne de châtiment que sa soumission de louange. Il est au contraire évident, et par les paroles mêmes du précepte, et par la suite des événements, que l’acte seul de leur désobéissance soumit nos premiers parents à la mort. C’est ce que la femme elle-même dit au serpent : Pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : N’en mangea point, de peur que vous ne mouriez. Ainsi avant leur péché ils étaient immortels, autrement leur prévarication n’eût pu être punie du supplice de la mort.
6. Peut-on donc soutenir que c’est en mangeant du fruit défendu que l’homme acquit la connaissance du bien et du mal ? Mais n’avait-il pas déjà cette connaissance, lui qui était rempli de sagesse et orné du don de prophétie ? et comment pourrait-on raisonnablement admettre que les chèvres, les brebis et les autres animaux herbivores savent distinguer les plantes utiles des plantes nuisibles pour brouter les unes et s’éloigner des autres, et que l’homme, doué de raison, ne sût pas discerner 1e bien d’avec le mal ? Mais il n’est pas moins vrai, direz-vous, que cet arbre est nommé dans l’Écriture l’arbre de la science du bien et du mal. J’en conviens ; et toutefois il suffit d’être un peu familiarisé avec le style dé l’Écriture pour se rendre compte de cette expression. Il a été ainsi appelé, non qu’il ait donné à l’homme la science du bien et du mal, mais parce qu’il a été l’occasion de sa désobéissance et qu’il a introduit la connaissance et la honte du péché. Et en effet souvent l’Écriture désigne les faits par les circonstances qui les accompagnent ; et comme cet arbre devait être pour l’homme une occasion de péché ou de mérite, elle l’appela l’arbre de la science du bien et du mal.
Le Seigneur voulut dès le principe faire connaître à l’homme que le Dieu qui avait créé l’univers lui avait aussi donné l’être. Il lui fit donc ce léger commandement afin qu’il reconnût son titre de Maître et de Seigneur. C’est ainsi qu’un généreux propriétaire qui accorde à son intendant l’usufruit d’un magnifique palais, en exige une légère redevance, comme témoignage de son droit de propriété. L’intendant sait ainsi que ce palais ne lui appartient point, et qu’il n’en jouit que par la bonté et la libéralité de son maître. Et de même le Créateur, qui avait établi l’homme roi de la nature ; et qui l’avait placé dans le paradis terrestre dont il jouissait pleinement, voulut éviter que, séduit par ses propres pensées, il ne crût que l’univers existait par lui-même, et qu’il ne s’enorgueillît de sa supériorité. C’est pourquoi il lui interdit le fruit d’un seul arbre, et le menaça, en cas de désobéissance ; des plus graves châtiments, pour l’obliger à reconnaître un Maître, et à proclamer qu’il tenait tous ses avantages de sa pure libéralité. Mais la présomptueuse témérité d’Adam le précipita avec Eve dans une ruine effroyable ; ils transgressèrent le commandement, et mangèrent du fruit défendu. Voilà pourquoi cet arbre a été appelé l’arbre de la science du bien et du mal. Ce n’est pas qu’ils ne connussent auparavant le bien et le mal, comme le prouvent ces paroles de la femme au serpent : Dieu nous a dit : Ne mangez point de ce fruit, de peur que vous ne mouriez. Ils savaient donc bien que la mort serait la punition de leur désobéissance ; aussi est-ce après avoir mangé d fruit défendu qu’ils furent dépouillés de leur vêtement de gloire, et qu’ils ressentirent la honte de leur nudité. Cet arbre est donc appelé l’arbre de la science du