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en profitant d’un bon avis ? Ils préfèrent ignorer plutôt que de s’instruire, ne sachant pas que l’on est blâmable non de s’instruire, mais d’ignorer ; non d’apprendre, mais de persister dans son ignorance ; non d’être repris, mais de s’opiniâtrer à mal faire.
Oui, je le répète, l’homme le plus ordinaire et le plus simple trouve souvent ce qui échappe aux grands génies. Moïse le comprit, et il écouta avec douceur le conseil que lui donna son beau-père, disant : Établis des chefs de mille, de cent, de cinquante et de dix hommes, ils te rapporteront les causes difficiles, et jugeront eux-mêmes les plus faciles. (Exo. 18, 21-22) Oui, Moïse écouta ce conseil sans que son amour-propre en fût blessé, sans rougir, sans être embarrassé de la présence de ses subordonnés ; il ne se dit pas à lui-même : Je vais me faire mépriser de ceux qui m’obéissent, si, étant chef, je me laisse enseigner mes devoirs par un autre. Il reçut l’avis et le mit en pratique, il n’eut honte ni des contemporains, ni de la postérité ; bien plus, comme s’il eût voulu tirer vanité de la remontrance de son beau-père, il l’a, par ses écrits, portée à la connaissance des hommes, non-seulement de son temps, mais encore de tous ceux qui sont venus après jusqu’à ce jour, et de tous ceux qui fouleront encore la terre jusqu’à l’avènement du Fils de Dieu ; il n’a pas craint de publier à la face du monde qu’il n’avait pas su voir par lui-même ce qu’il fallait, et qu’il avait été redressé par son beau-père. Et nous, pour un homme qui est témoin des réprimandes que l’on nous fait, on nous voit troublés, hors de nous-mêmes, doutant si nous pourrons survivre à notre humiliation. Tel n’était pas Moïse ; les témoins sans nombre que son œil apercevait devant lui aussi bien que dans la suite des âges ne le font pas rougir ni hésiter à confesser tous les jours dans son livre, à la face de l’univers, que son beau-père a découvert ce que lui-même n’avait pas su découvrir. Pour quelle raison a-t-il transmis ce fait à la mémoire des hommes ? Pour nous avertir de ne pas trop présumer de nous, quelque sages que nous soyons, de ne pas mépriser les conseils même des derniers de nos frères. Un bon conseil vous est offert, recevez-le, vînt-il d’un esclave ; s’il est mauvais, rejetez-le, quelle que soit la dignité de celui qui le donne. Ce n’est pas la qualité du conseiller, mais la nature du conseil qu’il faut considérer. Moïse nous apprend donc à ne pas rougir d’une réprimande même en présence d’un peuple nombreux. C’est le fait d’une vertu qui n’a rien de vulgaire, et le propre de la sagesse la plus haute, que de supporter courageusement la réprimande. Nous n’admirons pas tant Jéthro de ce qu’il reprit Moïse que nous ne sommes étonnés de voir ce grand saint se laisser courageusement redresser en public par Jéthro, livrer le fait à la connaissance du genre humain, montrant ainsi, sans le savoir, combien grande était sa sagesse et petite l’importance qu’il attachait à l’opinion des hommes.
3. Mais voilà qu’en nous excusant de la longueur de nos exordes, nous en avons fait un plus long que jamais, un toutefois qui contient autre chose que de vaines paroles, puisque, chose très-grave et très-nécessaire, nous vous exhortons à supporter courageusement les remontrances, comme aussi à reprendre avec zèle et à redresser ceux qui font mal. Force nous est cependant de nous expliquer au sujet de cette prolixité qu’on nous reproche, et de dire pourquoi nos exordes ont cette étendue. Quelles sont donc nos raisons ? Nous parlons à une grande multitude composée d’hommes ayant des femmes et des enfants à nourrir, des maisons à régir, le poids d’un travail quotidien à soutenir, d’hommes sans cesse plongés dans les préoccupations de cette vie. Le difficile ne vient pas seulement de ce qu’ils n’ont pas de loisir, mais surtout de ce que nous ne pouvons les avoir ici qu’une fois la semaine ; il faut les mettre à même de nous suivre et de nous comprendre. Or, c’est par le moyen des exordes que nous essayons d’éclaircir ce qu’il pourrait y avoir d’obscur dans nos instructions. Celui que ne distrait aucune occupation matérielle, qui est toujours cloué sur les livres saints, celui-là n’a pas besoin du secours de l’exorde ; l’orateur n’a pas encore exprimé toute sa pensée, qu’un tel auditeur la comprend déjà tout entière. Mais un homme qui porte presque continuellement la chaîne des occupations de cette vie, qui ne fait que paraître ici un instant de loin en loin, si un exorde un peu étendu ne prépare point son esprit et ne l’amène comme pas à pas en lui frayant la voie jusqu’au sujet, il écoutera sans entendre et se retirera sans profit.
Autre raison non moins considérable. Entre tant d’auditeurs, les uns sont exacts, les autres ne le sont guère à venir ici ; nécessité donc de