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dans un précipice, qui ne fait nul effort pour sauver sa vie, qui ne voit pas le péril, et vous ne lui tendez pas la main, et vous ne le relevez pas de sa chute ! et vous n’avez à lui offrir ni avertissement ni remontrance ! Vous l’empêchez de tomber dans le ridicule, de manquer aux bienséances, et quand il y va de son salut, vous ne vous en inquiétez nullement ! Quelle justification, quelle excuse aurez-vous à présenter au tribunal de Dieu ? Ne savez-vous pas l’ordre donné de Dieu aux Israélites de ne pas négliger la bête égarée d’un ennemi, et lorsqu’elle tombe en un précipice de ne pas passer à côté sans la relever ? (Exo. 23, 4-5 ; Deu. 22, 1) Voilà les Israélites à qui il est prescrit de ne pas négliger la bête de somme d’un ennemi, et nous, nous verrons avec indifférence l’âme de notre frère tomber chaque jour dans les pièges du démon ! Quelle barbarie, quelle inhumanité de s’intéresser moins à des hommes qu’ils ne s’intéressent à des bêtes ! Oui, ce qui perd tout, ce qui confond tout dans notre vie, c’est que nous ne souffrons pas qu’on nous reprenne, et que nous ne nous soucions pas de reprendre les autres. Nos remontrances ne sont trouvées désagréables que parce que nous repoussons avec colère celles qu’on nous présente. Si votre frère vous savait disposé à bien accueillir ses observations et à l’en remercier, lui-même, lorsque vous l’avertiriez, vous rendrait certainement la pareille.
2. Voulez-vous vous convaincre que, même lorsque vous êtes un homme instruit, parfait, parvenu au faîte le plus élevé de la vertu, vous avez encore besoin de conseil, de correction, de remontrance ? Écoutez une antique histoire. Rien n’était égal à Moïse. Il était, dit l’Écriture, le plus doux des hommes (Nom. 12, 3), ami de Dieu, éclairé des lumières de l’Esprit ; divin, il possédait en outre toute la sagesse humaine. Moïse, dit encore l’Écriture, fut instruit de toute la sagesse des Égyptiens. Vous voyez bien que c’était un homme d’une science accomplie. Et il était puissant en parole et en vertu. Écoutez encore un autre témoignage : Dieu a conversé avec beaucoup de prophètes, mais il n’a conversé avec aucun autre comme il l’a fait avec Moïse. (Deu. 34, 10) Quelle plus grande preuve de sa vertu voulez-vous que celle que Dieu donne en s’entretenant avec son serviteur comme avec un ami ? Sagesse étrangère, sagesse domestique, il réunissait tout. Il était puissant en parole et en œuvre. Il commandait à la création, ami qu’il était du Maître de la création. Il emmena d’Égypte tout un grand peuple. Il sépara les eaux de la mer et les réunit, et il parut alors un prodige que le soleil voyait pour la première fois, une mer traversée non en vaisseau, mais à pied, battue non par la rame et l’aviron, mais par les pieds des chevaux. (Exo. 33, 11)
Eh bien ! ce sage, ce puissant en parole et en œuvre, cet ami de Dieu, cet homme qui commandait à la création, cet auteur de tant de prodiges, ne remarqua pas une chose si simple que tous les hommes, la pouvaient comprendre. Ce fut son beau-père, un barbare, un homme simple qui la remarqua et la proposa ; et ce grand homme ne l’avait pas trouvée. Mais, quelle était cette chose ? Écoutez, et vous saurez que chacun a besoin de conseil, fût-ce un autre Moïse, et que ce qui échappe aux plus grands, aux plus intelligents des hommes, se découvre souvent aux petits et aux simples. Lorsque Moïse fut sorti de l’Égypte avec le peuple de Dieu, et qu’il était dans le désert, tous les Israélites, au nombre de six cent mille, venaient devant lui pour lui faire juger leurs différends. Témoin de ce fait, son beau-père, Jéthro, un homme simple, qui passait sa vie dans le désert, qui n’avait aucune habitude des lois et du gouvernement, et, ce qui prouve encore mieux son ignorance, qui adorait les faux dieux, quoi de plus grossier ! toutefois ce barbare, ce gentil, cet ignorant s’aperçut, que Moïse s’y prenait mal, et il en reprit ce sage, cet esprit éclairé, cet ami de Dieu. Il lui demanda pourquoi tous ces hommes venaient à lui, et en ayant appris le motif, il lui dit : Tu ne fais pas bien. (Exo. 18, 14, 17) Et à la réprimande il joignit le conseil, et loin de s’en fâcher, Moïse accueillit l’une et l’autre ; Moïse le sage, l’esprit éclairé, l’ami de Dieu, le chef d’un si grand peuple. Ce n’était cependant pas peu de chose de recevoir une leçon d’un barbare, d’un ignorant. Les étonnants miracles qu’il faisait, la grandeur du pouvoir qu’il exerçait ne l’enflèrent point, il ne rougit point d’être repris en présence doses subordonnés. Il comprit que ses grands prodiges ne l’empêchaient pas d’être toujours homme, par conséquent d’ignorer beaucoup de choses, et il reçut avec douceur le conseil qu’on lui donnait. Or, combien n’en voit-on pas qui, pour ne pas paraître avoir besoin de conseil, aiment mieux trahir l’intérêt de la cause qu’ils servent que de corriger leur tort