Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

Voilà des blessures qui sauvent et voilà des baisers qui trahissent. Ainsi, rien de plus vrai, il y a plus à se fier aux blessures d’un ami qu’aux baisers empressés d’un ennemi. Des hommes, passons à Dieu et au démon pour la vérification de cette même maxime. Dieu est notre ami, le démon notre ennemi ; l’un est un sauveur et un protecteur, l’autre un fourbe qui s’acharne à nous perdre. Or, celui-ci nous a baisés autrefois, et celui-là nous a frappés. Comment celui-ci nous a-t-il baisés et celui-là frappés ? Le voici : le démon a dit : Vous serez comme des dieux, et Dieu a dit : Tu es terre et tu retourneras en terre. (Gen. 3, 5 et 19) Lequel des deux nous a mieux servis, de celui qui a dit : Vous serez comme des dieux, ou de celui qui a dit : Tu es terre et tu retourneras en terre ? Dieu menaça de mort nos premiers parents, le démon leur promit l’immortalité. Or, celui qui leur avait promis l’immortalité les fit chasser même du paradis, et celui qui les avait menacés de mort les a reçus dans le ciel, eux et leurs descendants. Nouvelle preuve qu’il y a plus à se fier aux blessures d’un ami qu’aux baisers empressés d’un ennemi. Donc, je le répète, je sais gré à ceux qui me blâment de leurs critiques ; car, fondés ou non fondés, leurs reproches sont faits dans l’intention non d’injurier, mais de corriger ; mais les blâmes même justes des ennemis tendent non pas à corriger, mais à décrier. Les uns, lorsqu’ils louent, encouragent à mieux faire ; les louanges des autres sont des pièges où ils veulent faire tomber ceux qui en sont l’objet.
Au reste, de quelque manière que se présente le blâme, c’est toujours un grand bien de le supporter sans s’irriter. Celui, dit l’Écriture, qui hait la réprimande est un insensé. (Prov. 12, 1) L’auteur ne dit pas telle ou telle réprimande, il dit simplement la réprimande. Un ami vous fait un reproche juste, corrigez votre défaut ; le blâme tombe-t-il à faux, louez du moins votre ami de sa bonne intention, voyez le but et reconnaissez un soin amical : la bienveillance a produit le blâme. Ne nous irritons pas lorsqu’on nous reprend. Quel avantage ce serait pour notre vie si, recevant des représentations de tous nos amis sans nous piquer, nous leur rendions nous-mêmes charitablement le service de les avertir de leurs défauts ! Les représentations sont aux défauts ce que les remèdes sont aux plaies, et l’on n’est pas moins déraisonnable de repousser les unes que les autres. Mais, la plupart du temps, l’on s’indigne d’être repris, on se dit à soi-même Quoi ! avec ma capacité et mon savoir, je me laisserais faire la leçon par cet homme ! On tient ce langage, sans songer qu’on donne ainsi une grande preuve de folie. Car, dit le Sage, espérez mieux de l’insensé que de l’homme qui se croit sage. (Prov. 26, 12) Saint Paul dit de même : Ne soyez pas sages à vos propres yeux (Rom. 12, 16)
Soit, votre sagesse, votre perspicacité est admirable ; malgré tout vous êtes homme, et vous avez besoin de conseils. Dieu seul ne manque de rien ; seul il n’a pas besoin qu’on le conseille, lui de qui il est écrit : Qui connaît la pensée du Seigneur, où qui a été son conseiller ? (Rom. 11, 34) Mais nous autres hommes, si sages que nous soyons, nous méritons souvent qu’on nous reprenne, et nous laissons souvent voir la faiblesse de notre nature. Car tout ne peut pas se trouver dans les hommes, dit l’Ecclésiastique (XVII, 29), par la raison, ajoute-t-il, que le fils de l’homme n’est pas immortel. Quoi de plus lumineux que le soleil ? et néanmoins il s’éclipse. Or, de même que l’obscurité vient parfois surprendre, au milieu de ses plus vives splendeurs, cet astre si brillant et lui dérober tous ses rayons ; ainsi, pendant que notre intelligence resplendit comme à son zénith, revêtue de toutes ses clartés, souvent il lui survient une défaillance de pensée qui la laisse tout à coup sans lumière. Alors le sage n’aperçoit plus le devoir, tandis que parfois un moins sage le distingue d’une vue beaucoup plus pénétrante et plus sûre. Et cela arrive afin que le sage ne s’exalte pas et que le simple ne se décourage pas.
C’est un grand avantage de savoir souffrir les remontrances ; pouvoir en présenter est aussi un grand avantage en même temps qu’une marque certaine de l’intérêt qu’on porte au prochain. Voyons-nous quelqu’un porter de travers et mal liée sa tunique ou quelque autre partie de son vêtement, aussitôt nous l’avertissons ; mais si c’est sa vie qui est dissolue, nous ne prenons pas la peine de lui adresser une parole. Nous voyons une vie qui n’est pas selon les convenances et nous passons. Et cependant les travers dans le vêtement, on en est quitte Four quelques rires essuyés ; mais les fautes de l’âme, c’est aux plus graves périls qu’elles exposent, c’est par les plus sévères châtiments qu’on les expie. Quoi ! vous voyez votre frère qui se jette