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effets, ou pour citer le texte même, si ces deux choses sortent de la bouche (Sir. 27,14), il en est de même de la haine du prochain ; si tu lui fais sentir le souffle d’un fol orgueil, tu ravives le feu, tu allumes les charbons ; si au contraire, tu as recours à des paroles douces et circonspectes, avant que l’incendie se soit déclaré, voilà toute sa colère éteinte. Ne va donc pas dire : J’ai souffert tel et tel traitement, j’ai reçu telle ou telle injure ; tout cela dépend de toi seul. – Comme l’étincelle que tu es libre d’éteindre ou d’allumer, ainsi tu peux à ton gré, soit apaiser soit aviver celte colère. Lorsque tu vois ton ennemi, ou encore, que ton esprit se représente les choses désagréables qu’il t’a fait entendre ou subir, oublie tout cela : et si tu t’en souviens, impute au diable cette pensée. Recueille, au contraire, tout ce qu’il a pu te dire de bon, tout le bien qu’il a pu te faire. Et si tu conserves précieusement ce souvenir, tu auras bientôt désarmé la haine. Veux-tu faire des reproches à ton ennemi, avoir avec lui un entretien ? Commence par bannir la passion, par éteindre ton courroux, et alors seulement demande-lui compte, et tâche de le confondre : de cette manière, il te sera facile d’avoir l’avantage. Car, dans la colère, il nous est impossible de rien dire, de rien faire qui soit raisonnable : mais, dès que nous serons affranchis de cette passion, aucune parole dure ne sortira plus, ni de notre bouche, ni de celle des autres. – En effet, ce n’est point tant la nature des propos qui cause généralement notre irritation, que la prévention suggérée par la haine. Souvent il nous arrive d’entendre les mêmes injures proférées soit par des amis, en forme de badinage, soit par des bouffons, soit par de petits enfants, sans qu’elles nous causent aucune impression pénible, aucune irritation, ou fassent autre chose que nous porter à rire et nous égayer ; c’est que nous les avons entendues sans parti pris, et sans aucune prévention inspirée par la colère. Par conséquent, lorsqu’il s’agira de tes ennemis, il te suffira d’éteindre ton courroux, de bannir ta haine, pour qu’aucune de leurs paroles ne puisse te chagriner.
8. Que dis-je, de leurs paroles ? Je devrais ajouter, ni de leurs actes, comme le prouve l’exemple de notre bienheureux : Voyant son ennemi armé pour sa perte, et ne négligeant rien pour la consommer, non seulement il n’en conçut point d’animosité, mais il ne fit que lui témoigner plus de compassion : plus Saül s’acharnait dans ses tentatives homicides, plus David versait de larmes sur lui. C’est qu’il savait, oui, il savait à merveille, que ce n’est pas la victime, mais le persécuteur qui mérite des larmes et des gémissements à cause du mal qu’il se fait à lui-même.
Voilà pourquoi il se justifie longuement auprès de Saül, et ne s’arrête point avant de l’avoir amené lui-même à se défendre non sans pleurer et sans gémir. Saül, en effet, commença par sangloter, par pousser des exclamations de douleur, et des gémissements déchirants ; après quoi, écoutez comment il parle : Tu es plus juste que moi, parce que tu m’as rendu du bien, et que moi, je ne t’ai rendu que du mal. (1Sa. 24,18) Voyez-vous comment il condamne sa propre perversité, comment il exalte la vertu du juste, comment il plaide pour lui sans y être nullement contraint. Imitez cet exemple. Quand votre ennemi est devant vous, au lieu de l’accuser, défendez-le, si vous voulez qu’il s’accuse lui-même. En effet, si c’est nous qui l’accusons, il se lâche ; si au contraire nous prenons sa défense, il aura égard à notre modération, et deviendra dès lors son propre accusateur. Et par là, tout à la fois, il est démontré coupable sans qu’aucun doute subsiste, et il est guéri entièrement de sa méchanceté. C’est ce qui arriva dans cette occasion ; c’est le coupable qui soutient l’accusation avec énergie, tandis que la victime garde le silence. Car Saül ne se borne pas à dire : Tu m’as fait du bien, il dit : Tu m’as rendu du bien; en d’autres termes : A mes desseins meurtriers, à mes tentatives homicides, à tant de persécutions, tu as répondu par de grands bienfaits. Et moi, malgré tout cela, je ne suis pas devenu meilleur ; même après ces bienfaits, je me suis obstiné dans ma méchanceté ; toi, même alors, tu n’as pas changé, tu es resté fidèle à ton caractère, tu as persévéré dans ta générosité envers moi, ton assassin.
Combien de couronnes David ne mériterait-il pas pour chacune de ces paroles ? En effet, si c’est la bouche de Saül qui les prononça, c’est la sagesse, c’est l’habileté de David qui les lui inspira. Et tu m’as révélé aujourd’hui, continue Saül, le bien que tu m’as fait, lorsque le Seigneur m’a livré aujourd’hui entre les mains, et que tu ne m’as pas tué. Voici encore une nouvelle vertu qu’il attribue à David par ce témoignage : le bienfaiteur n’a pas gardé le