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croyons pas que ce soit un mince et vulgaire mérite, que de se montrer affable et courtois. La négligence en ce point a brisé bien des amitiés, a engendré bien des haines : au contraire, l’empressement à remplir ce devoir a mis fin à de longues guerres, et resserré nombre d’amitiés. Ne néglige donc pas, mon cher frère, de remplir avec zèle cette obligation : bien au contraire, s’il est possible, prévenons tous ceux que nous rencontrons, quels qu’ils soient, tant en paroles qu’en hommages de tout genre. Que si l’on te rend les devants, réponds par un surcroît d’hommages. En effet, c’est le conseil que nous donne Paul en disant : Croyez les autres au-dessus de vous-mêmes. (Phil. 2,3) Ainsi agit David : il prévint Saül, et à son hommage il répondit par un hommage plus grand : Ton esclave, Roi, mon seigneur. Et voyez quel bénéfice il retira de sa conduite. Lorsqu’il l’eut entendu parler ainsi, Saül ne fut plus maître désormais d’entendre cette voix sans pleurer : il gémit amèrement, montrant par ses larmes, et la guérison de son âme et la sagesse que David lui avait inspirée.
7. Quel plus heureux sort que celui de ce prophète, qui dans l’espace d’un instant transforma a ce point son ennemi, qui, ayant devant lui une âme altérée de sang et de carnage, la jeta aussitôt dans les gémissements et les lamentations ? Je n’admire pas tant Moïse, pour avoir fait jaillir des fontaines d’une roche escarpée, que je n’admire David pour avoir arraché des larmes à des yeux secs ainsi que la pierre. Moïse vainquit la nature, mais David triompha de la volonté ; Moïse frappa la pierre de sa baguette, David toucha avec sa parole le cœur de son ennemi, non pour lui faire mal, mais pour le purifier et pour l’adoucir : ce qu’il fit en effet, rendant ainsi à Saül un service plus signalé que le précédent. – Sans doute on ne peut trop le louer et l’admirer de n’avoir point percé Saül de son glaive, de n’avoir point coupé cette tête ennemie ; mais il faudrait encore bien plus de couronnes pour le récompenser d’avoir transformé cette volonté même, de l’avoir améliorée, et d’avoir communiqué à cet homme sa propre vertu. – Ce dernier bienfait est supérieur à l’autre. En effet, ce n’est pas la même chose de faire don de la vie, ou d’inspirer la sagesse ; ce n’est pas la même chose de dérober quelqu’un à un courroux homicide, de le sauver du fer, ou de le guérir de la démence qui peut le porter à de pareils excès. – En empêchant se, gardes de tuer le roi, Saül lui avait rendu service quant à l’existence présente ; mais en chassant le crime de son âme par la douceur de ses propres paroles, c’est la vie future, ce sont des biens immortels qu’il lui procura, autant qu’il était en lui. – Par conséquent, lorsque vous le louerez de sa propre humanité, admirez-le encore davantage à cause de la conversion de Saül. Car la victoire qu’on remporte sur ses passions est encore bien loin du triomphe qu’on obtient sur la folie des autres, en apaisant l’irritation de leur cœur, en opérant un pareil calme après une pareille tempête, en remplissant de larmes brûlantes des yeux où brillait une ardeur homicide. Voilà ce qui doit exciter toute notre surprise, toute notre admiration. Si Saül avait été un homme vertueux et modéré, ce n’eût pas été un bien grand succès pour David que de lui inspirer sa propre vertu. Mais, quand il avait devant lui un homme farouche, plongé dans une extrême perversité, et animé de la passion du meurtre, l’amener, dans un si court espace de temps, à se guérir de toute cette férocité, n’est-ce pas éclipser tous les maîtres qui se sont jamais fait un nom dans l’enseignement de la philosophie ?
Et vous aussi, par conséquent, si votre ennemi vient à tomber en votre pouvoir, ne songez pas aux moyens de vous venger de lui, et de le renvoyer tout abreuvé d’insultes ; songez aux moyens de le guérir, de le ramener à la vertu ; et rie cessez pas de recourir à tous les expédients, à toutes les paroles, jusqu’à ce que votre douceur ait triomphé de son âpreté. En effet, rien n’est plus puissant que l’humanité. – Et c’est en ce sens qu’on a pu dire : De douces paroles briseront des os. (Prov. 25,13) Et cependant, quoi de plus dur qu’un os ? Néanmoins, quelle qu’en soit la dureté, la raideur, celui qui saura le manier sans brusquerie en triomphera sans peine. Ailleurs encore : Une réponse soumise détourne la colère. (Prov. 15,1) D’où il résulte que l’irritation de ton ennemi ou sa réconciliation dépend moins de lui-même que de toi. – En effet, c’est à nous ; et non à ceux qui sont en colère, qu’il appartient d’éteindre leur courroux, au lieu de l’attiser. – Et c’est encore ce qu’a fait voir par un simple exemple l’auteur des maximes citées plus haut. Si, dit-il, en soufflant sur une étincelle, tu en fais jaillir la flamme, tandis qu’en crachant tu l’éteins, et si tu es maître de produire ces deux