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jour venu, du plus loin que nous le voyons, nous l’avons déjà reconnu : souvent la même chose arrive aussi pour la haine. Tant que nous sommes mal disposés mutuellement, nous entendons avec partialité la voix l’un de l’antre et nous nous voyons avec un esprit prévenu ; mais, une fois que nous sommes guéris de notre colère, cette voix, naguère odieuse et ennemie, nous paraît douce et délicieuse ; ce visage odieux et importun devient aimable et charmant à nos yeux.
6. Voyez l’orage : les nuages amassés ne permettent pas à la beauté du ciel de se montrer, et quand bien même nos yeux seraient mille fois plus perçants, nous ne saurions alors atteindre à la sérénité d’en haut ; mais, quand la chaleur du rayon réussit enfin à déchirer la nue et découvre le soleil, elle découvre en même temps la magnificence du ciel. La même chose arrive quand nous sommes en colère d’abord, la haine étendue devant notre ouïe et notre vue, comme un épais nuage, nous fait paraître tout autres et les sons de la voix et les traits du visage ; mais du moment où, par un effort de sagesse, nous avons guéri notre haine et déchiré le nuage de notre mauvaise humeur, alors notre regard, notre oreille jugent de tout avec impartialité. C’est ce qui advint alors à Saül. En effet, le nuage de la haine une fois déchiré, il reconnaît la voix de David et s’écrie : C’est ta voix, mon fils David! Qu’était-ce donc que cette voix ? C’était celle qui avait abattu Goliath, qui avait arraché l’État de ses périls, qui avait rendu au calme et à la liberté tant d’hommes exposés à l’esclavage et à la mort ; c’était celle qui avait apaisé la fureur de Saül, celle qui lui avait rendu tant de services éclatants.
En effet, c’est bien la voix de David qui triompha de Goliath : car avant la pierre, la force de la prière avait triomphé de ce barbare : David n’avait pas simplement lancé sa pierre, il avait commencé par dire : Tu viens contre moi au nom de tes dieux : moi je marche contre toi au nom du Seigneur Sabaoth, que tu as insulté en ce jour (1Sam. 17,45), et c’est seulement alors qu’il lâcha sa fronde. C’est cette voix qui dirigea la pierre, c’est elle qui jeta l’angoisse au cœur du barbare, c’est elle qui abattit l’audace de l’ennemi. Et pourquoi t’étonner que la voix d’un juste apaise la colère, et extermine l’ennemi, quand elle met en fuite jusqu’aux démons ? Les apôtres ne faisaient que parler, et toutes les puissances contraires prenaient la fuite. La voix des saints dompta plus d’une fois les éléments et plus d’une fois changea leurs propriétés. Jésus fils de Navé n’eut qu’à dire que le soleil et la lune s’arrêtent: et ils s’arrêtèrent ; de même encore Moïse contint la mer, et la déchaîna ; de même les trois jeunes gens éteignirent l’ardeur du feu par des hymnes et par la voix. Voilà pourquoi Saül ému au seul son de cette voix, s’écrie : C’est ta voix, mon fils David ? Et David, que dit-il ? Ton esclave, Roi, mon seigneur. C’est une dispute et un combat, à qui fera le plus d’honneur à l’autre. Saül a traité David en parent, David l’appelle son maître. Voici ce qu’il veut dire : je ne cherche qu’une chose, ton salut, et puis, à faire des progrès dans la vertu. Tu m’as appelé ton fils, moi je suis content et satisfait, si tu me tiens pour ton esclave, à condition toutefois que tu abjures ta colère, à condition que tu ne conçoives sur mon compte aucun mauvais soupçon, et que tu ne me prennes point pour un traître et pour un ennemi. Il accomplissait ainsi ce précepte de l’Apôtre qui nous enjoint de nous honorer les uns les autres en nous prévenant et nous surpassant à l’envi ; et de ne pas faire comme beaucoup de gens, moins bien dressés que des bêtes de somme, qui ne se résignent pas même à adresser les premiers la parole au prochain, croyant se faire injure et se ravaler, s’ils offraient à quelqu’un une simple salutation.
Quoi de plus ridicule qu’une telle démence ? quoi de plus honteux que cet orgueil, et cette présomption ? C’est quand tu attends la salutation du prochain que tu te ravales, mon ami, que tu te fais injure, que tu te déshonores. Cary a-t-il rien de pire que la démence ? de plus ridicule que l’orgueil et la vanité ? Situ adresses le premier la parole, Dieu te louera, ce qui passe avant tout, et les hommes aussi t’approuveront ; et pour le salut adressé au prochain ; c’est toi seul qui seras récompensé : mais si tu as attendu pour lui rendre hommage qu’il eût pris les devants, tu n’as rien fait que d’ordinaire. C’est celui qui aura pris vis-à-vis de toi l’initiative des hommages, c’est celui-là qui seul sera récompensé, même de la courtoisie que tu lui auras témoignée. En conséquence, l’attendons pas que les hommages d’autrui préviennent les nôtres. Empressons-nous au-devant du prochain pour l’honorer, donnons-lui toujours l’exemple des salutations, et ne