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Seigneur soit juge entre nous deux (1Sa. 5,13) : non qu’il souhaitât la punition de Saül, ni qu’il voulût en tirer vengeance, mais afin de l’effrayer en lui remettant en mémoire le futur jugement, et non seulement de l’effrayer, mais encore de justifier sa propre conduite. Les faits eux-mêmes, veut-il dire, me fournissent toutes les preuves désirables : si pourtant tu conserves un doute, je prends Dieu lui-même à témoin, Dieu qui connaît les mystères de la pensée de chacun, et qui sait sonder la conscience.
5. En disant cela, il voulait faire entendre qu’il n’aurait pas osé invoquer l’infaillible Juge, et appeler le jugement sur sa tête, s’il n’était pas bien assuré de sa parfaite innocence. Et que ce n’est point ici une conjecture, que David, en faisant mention du grand jugement, voulait et se justifier lui-même, et ramener Saül à la raison, c’est ce que les faits précédents seraient déjà suffisants à prouver ; mais ceux qui suivirent n’en fournissent pas un moins fort témoignage. En effet, Saül étant retombé ensuite entre ses mains, après avoir reconnu le bien fait de son salut par de nouvelles entreprises contre la vie de son sauveur, David, qui pouvait le massacrer avec toute son armée, le relâcha, saris lui avoir infligé aucun des traitements qu’il méritait. Alors, voyant que la maladie du roi était incurable, désespérant de jamais fléchir la haine que lui-même lui inspirait, il se déroba aux regards de son ennemi, et vécut chez les barbares, esclave, obscur, honteux, se procurant par le travail et la peine ce qui était nécessaire à sa subsistance. Et ce n’est pas là tout ce qu’il faut admirer en lui, c’est encore qu’en apprenant la mort de Saül, tué dans un combat, il ait déchiré sa robe, qu’il se soit couvert de cendres, et qu’il ait éclaté en gémissements comme s’il avait perdu un fils unique et légitime, ne cessant de répéter à haute voix et son nom et celui de son fils, chantant ses louanges, poussant des cris plaintifs, restant jusqu’au soir sans nourriture, et maudissant jusqu’aux lieux teints du sang de Saül : Montagnes de Gelboé, dit-il, que ni rosée, ni pluie ne tombe sur vous, montagnes de mort, parce que là sont tombés les boucliers des forts. (2Sa. 1,21)
Comme ces pères en deuil qui prennent leur demeure en aversion, qui considèrent avec douleur la rue par laquelle ils ont conduit la pompe funèbre de leur fils, David maudit les montagnes mêmes que e meurtre avait ensanglantées. Je hais jusqu’à l’endroit, dit-il ; à cause de ceux qui y sont tombés morts. Que les pluies d’en haut cessent donc de vous arroser ; il suffit que vous ayez été arrosées, hélas ! du sang de mes amis ; et à chaque instant, il fait revenir leurs noms : Saül et Jonathan, ces hommes aimables et beaux, n’avaient pas été séparés durant leur vie, et ils ne le furent pas dans la mort. Faute d’avoir auprès de lui leurs cadavres pour les serrer dans ses bras, il les embrasse par leurs noms, afin d’apaiser par ce moyen, autant qu’il était en lui, sa propre douleur, et de tromper l’excès de son infortune. Beaucoup regardaient comme un irréparable malheur la mort du père et du fils dans une seule journée ; David trouve en cela même un sujet de consolation. Car ces mots : Ils n’avaient pas été séparés durant leur vie, et ils ne le furent pas dans la mort, ne sont pas dits dans une autre intention. On ne peut dire, veut-il faire entendre, que le fils ait à pleurer son père, le père à gémir sur son fils ; ce qui n’arrive à personne est arrivé pour eux, c’est en même temps, c’est dans la même journée que la vie leur a été arrachée, il n’y a pas eu de survivant. Car il pensait qu’une séparation aurait rendu la vie insupportable à celui qui l’aurait conservée. Vous êtes attendris, vous pleurez, l’émotion trouble vos pensées, vos yeux sont devenus prompts aux larmes ? Eh bien ! que chacun de vous songe maintenant à son ennemi, à l’auteur de ses peines, tandis que la douleur palpite encore dans son sein. Veillez sur lui sa vie durant, prenez le deuil après sa mort, non par ostentation, mais du fond de l’âme et dans la sincérité du cœur ; et, quand il faudrait souffrir quelque chose pour ne pas affliger celui qui vous a fait tort, sachez tout faire et tout endurer, dans l’espérance d’être amplement récompensé par le Seigneur. Voyez David : il obtint la royauté, et sans tremper ses mains dans le sang, la droite toujours pure, il ceignit la couronne, il monta sur le trône, avec un titre de gloire plus éclatant que la pourpre et le diadème, sa clémence envers un ennemi, les pleurs que lui avait arrachés la mort de Saül. Aussi, maintenant qu’il n’est plus, célèbre-t-on encore sa mémoire. Ainsi donc, si tu veux, toi aussi, jouir même ici-bas d’un perpétuel renom, et posséder là-haut les biens éternels, homme, irrite la vertu de ce geste, prends sa sagesse pour modèle, fais preuve en ta conduite de la même patience, afin qu’ayant supporté les mêmes épreuves