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ainsi pour faire plaisir au juste. D’autre part, si David avait appelé le raisonnement et les probabilités à son secours, il aurait excité encore bien plus de défiance chez ce juge partial et prévenu. Comment, en effet, lui qui après tant de services rendus s’acharnait contre un innocent, aurait-il pu croire que la victime tenant en ses mains son persécuteur, l’avait épargné ? Car la loi générale est que la plupart des hommes jugent les autres d’après eux-mêmes : ainsi l’ivrogne d’habitude se persuadera difficilement qu’il existe un homme vivant dans la tempérance ; celui qui fréquente les prostituées prête son incontinence à ceux même qui vivent chastement ; de même encore, celui qui prend le bien d’autrui ne se laissera pas facilement convaincre que des hommes ont été jusqu’à faire le sacrifice de leurs biens. Ainsi Saül, une fois en proie à son ressentiment, aurait eu peine à croire qu’il existait un homme assez maître de cette passion, non seulement pour ne pas infliger de mauvais traitements, mais encore pour sauver celui qui l’avait maltraité. Aussi David, sachant que le juge était gagné, et que les témoins qui pourraient être produits seraient nécessairement en butte au soupçon, David avisa à se munir d’une preuve capable de fermer la bouche aux plus impudents. – Quelle preuve donc ? Le morceau du manteau il le présenta à Saül, et lui dit : Voici dans ma main le morceau du manteau, que j’ai dérobé, et je ne t’ai point donné la mort. (1Sa. 24,12) Témoin muet, mais plus éloquent que ceux qui ont la parole. C’est comme si David avait dit : Si je n’avais été près de toi ; si je n’avais été à portée de ta personne, je n’aurais pas coupé ce lambeau de ton vêtement. Voyez-vous quel bien résulta pour David, du trouble qu’il avait éprouvé d’abord ? S’il n’avait pas ressenti un mouvement de colère, il nous eût été impossible de comprendre sa sagesse ; car la plupart auraient attribué sa modération, non à la sagesse, mais à l’insensibilité ; et il n’aurait pas non plus entamé le manteau : or, faute de l’avoir fait, il n’aurait eu aucun gage à produire aux yeux de son ennemi. Mais grâce à cette colère et à cette précaution, il donna une preuve irréfragable de sa prévoyance. Quand donc il a produit ce témoignage vrai, irrécusable, c’est Saül désormais, c’est son ennemi lui-même qu’il prend pour juge et pour témoin de son dévouement, en lui disant : Connais et vois aujourd’hui qu’il n’y a sur ma main ni iniquité ni irrévérence et toi, tu tends des pièges à ma vie, afin de me la ravir. (Id) C’est en ceci particulièrement qu’il faut admirer sa magnanimité, qu’il se sert uniquement des événements de ce jour pour se défendre. C’est à quoi il fait allusion en disant : Connais et vois aujourd’hui. Je ne dis rien du passé, veut-il faire entendre ; la présente journée suffit à ce que je veux établir. Cependant il n’aurait pas manqué de grands services à énumérer, s’il avait voulu retourner en arrière : il pouvait rappeler à Saül le combat singulier que lui-même avait soutenu contre le barbare, et dire : – Quand l’armée barbare allait inonder, comme un déluge, et dévaster tout le royaume, quand vous étiez plongés dans la stupeur et dans la crainte et que chaque jour vous vous attendiez à mourir, j’ai paru : rien ne m’y forçait, au contraire tu me retenais, tu m’arrêtais, en me disant : Tu ne pourras marcher, parce que tu es un jeune enfant, tandis que cet homme est guerrier dès sa jeunesse ; j’ai résisté, j’ai bondi au premier rang, j’ai attendu l’ennemi, je lui ai coupé la tête ; j’ai réprimé l’invasion de ces barbares, pareille à un torrent ; j’ai raffermi l’État ébranlé ; c’est grâce à moi que tu as conservé la couronne et la, vie, c’est à moi que tous les autres doivent, outre la vie, la ville, les maisons qu’ils habitent, leurs enfants et leurs femmes. Et après ce triomphe, il aurait eu à citer bien d’autres victoires non moindres. Il aurait pu dire qu’une, deux fois et plus, Saül avait essayé de le tuer, et avait dirigé la lance contre sa tête, sans lui laisser de rancune ; qu’après cela, lui devant la récompense de son précédent exploit, il lui avait demandé pour présent de noces, non de l’or et de l’argent, mais un carnage, une extermination ; et que cela encore, il l’avait obtenu. Il aurait pu dire tout cela, et bien d’autres choses encore plus importantes : mais il n’en fit rien. Car il ne voulait pas reprocher ses bienfaits à Saül, mais seulement le convaincre, qu’il était pour lui un ami dévoué, et non pas un traître ni un ennemi.
Voilà pourquoi il laisse de côté tous ces arguments, pour faire figurer seulement dans son apologie l’événement de ce jour même. Tant il était exempt d’orgueil et pur de toute vanité, tant il est vrai qu’il n’avait en vue qu’une chose la volonté de Dieu. – Il dit ensuite : Que le