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sollicitude envers cet ennemi. Mais voyez la suite. David, dit l’Écriture, sortit de la caverne derrière Saül, et il cria derrière lui, disant Roi, mon seigneur. Et Saül regarda derrière lui, et David tomba la face contre terre et il l’adora. Voilà qui ne fait pas moins d’honneur que d’avoir sauvé son ennemi. Car ce n’est point le fait d’une âme commune que de ne pas se laisser enfler par les services rendus au prochain, ou plutôt de ne pas faire comme le grand nombre, qui montrent à leurs obligés le dédain qu’on a pour des esclaves, et les regardent avec hauteur.
Bien loin de se comporter ainsi, le bienheureux David, après son bienfait, n’en était que plus modeste et cela, par la raison qu’il ne faisait honneur d’aucune de ces bonnes œuvres à son propre zèle et qu’il rapportait tout à la grâce divine. Voilà pourquoi ce sauveur adore celui qu’il a sauvé, le salue ensuite du nom de roi et s’appelle lui-même serviteur afin de vaincre par cette attitude l’altier ressentiment de Saül, d’apaiser son courroux, de guérir sa jalousie. Mais écoutons dans quels termes il se justifie : Pourquoi prêtes-tu l’oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie ? (1Sa. 24,10) Cependant le narrateur a dit plus haut que tout le peuple était avec David, qu’il agréait aux yeux des serviteurs du roi, que le fils du maître et toute l’armée lui étaient attachés de cœur. Comment donc peut-il dire ici qu’il v avait des gens qui le dénonçaient, le calomniaient et qui excitaient Saül ? En effet, que Saül ne cédait point à l’impulsion d’autrui, mais bien à la méchanceté innée dans son cœur en persécutant le juste, c’est ce que montre l’écrivain sacré en disant que les éloges donnés à David firent naître l’envie chez Saül et que cette envie ne faisait que croître et progresser chaque jour. Pourquoi donc David rejette-t-il la faute sur d’autres personnes, en disant : Pourquoi prêtes-tu l’oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? C’est pour lui donner la faculté de revenir à de meilleurs sentiments. Souvent les pères agissent de la sorte avec leurs enfants : viennent-ils à s’apercevoir que leur fils est perverti, qu’il a commis beaucoup de mauvaises actions, quand bien même ils se seraient assurés que c’est son propre instinct, sa propre volonté qui l’a poussé au vice, cela n’empêche pas que souvent ils ne rejettent le tort sur d’autres en disant : Je sais que ce n’est pas ta faute ; d’autres t’ont séduit et gâté, c’est d’eux que vient tout le tort. En effet, il est plus facile à celui qui s’entend tenir ce langage de détourner ses yeux du vice et de revenir à la vertu, parce qu’il aurait honte et rougirait de paraître indigne de l’opinion qu’on a sur son compte. Paul emploie aussi ce moyen dans son épître aux Galates. Après les longs et nombreux avertissements, les reproches inouïs dont cette lettre est remplie, quand il arrive au bout, voulant les décharger de ces accusations, afin qu’ils eussent le temps de respirer après cette énumération de griefs et le moyen de se justifier, il s’exprime à peu près en ces termes : J’ai en vous cette confiance que vous n’aurez point d’autres sentiments ; mais celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu’il soit. (Gal. 5,10) Ainsi fait David en cette occurrence. En disant : Pourquoi prêtes-tu l’oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie ? il, fait entendre qu’il y a d’autres personnes qui excitent Saül, d’autres personnes qui le corrompent dans son empressement à lui fournir un moyen de justification. Puis, entamant sa propre apologie, il ajoute : Et voici que tes yeux ont vu aujourd’hui que le Seigneur t’a livré entre mes mains dans la caverne, et je n’ai pas voulu te tuer, et je t’ai épargné, et j’ai dit : Je ne porterai pas la main sur mon seigneur parce qu’il est l’oint du Seigneur. (1Sa. 24,11) Ces personnes m’accusent par des paroles, veut-il dire ; mais moi, je me justifie par des actes, c’est par ma conduite que je réfute l’accusation. Je n’ai pas besoin de discours ; l’issue même des événements suffit à démontrer plus clairement que tout discours ce que c’est que ces gens, ce que je suis moi-même et qu’enfin tout est mensonge et calomnie dans les accusations dirigées contre moi. Et pour le certifier je n’invoque pas d’autre témoin que toi-même, toi que j’ai obligé.
4. Et comment, dira-t-on, Saül pouvait-il en témoigner, puisqu’il était endormi tandis que ces choses se passaient, qu’il n’avait pas entendu ce qui s’était dit, qu’il ne s’était pas aperçu de la présence de David, ne l’avait pas vu s’entretenir avec les soldats ? Mais comment prévenir cette objection de telle sorte que la démonstration devienne évidente ? Si David avait produit en témoignage les personnes qui étaient alors avec lui, Saül aurait suspecté leur déclaration, il aurait cru qu’ils parlaient