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conduite envers les élus de Dieu. Dieu ne l’a pas encore dégradé, dit-il, il ne l’a pas réduit au rang des particuliers. Gardons-nous donc de bouleverser l’ordre, de nous révolter contre Dieu, et sachons pratiquer le précepte apostolique : Qui résiste à la puissance, résiste à l’ordre de Dieu. Or ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation. (Rom. 13,2) Mais il ne se borne pas à le nommer l’oint, il l’appelle encore son seigneur. Or ce n’est pas le fait d’une sagesse commune, que de donner à son ennemi des titres d’honneur et de respect. Et ceci encore sera plus facile à apprécier si l’on en rapproche la conduite d’autres personnes. – Beaucoup de gens ne se résignent point à désigner leurs ennemis uniment et simplement par leurs noms, il faut qu’ils y ajoutent des termes de violent reproche, le scélérat, l’insensé, le fou, l’idiot, le coquin, et mille autres termes pareils dont ils entremêlent leurs propos quand ils parlent de leurs ennemis. – Pour le prouver, je n’aurai pas besoin de chercher un exemple bien loin : j’en trouve un tout près de moi, chez Saül lui-même. L’excès de son animosité lui défendait d’appeler notre saint par son nom : c’est ainsi que dans une fête, comme il le cherchait, il demanda : Où est le fils de Jessé? S’il l’appela de la sorte, c’est d’un côté, parce que le nom de David lui faisait horreur, de l’autre, parce qu’il espérait nuire à la gloire du juste en rappelant l’homme obscur dont il était fils : ignorant que ce qui fait la gloire et la renommée, ce n’est point l’éclat de la naissance, mais bien la vertu. Le bienheureux David agit autrement. Il ne désigna point Saül par le nom de son père, bien que celui-ci fût également un homme obscur et de basse condition : il ne l’appelle point d’autre part, par son nom pur et simple, mais bien par celui de son rang, par le titre de maître. Tant son âme était pure de toute animosité. – Suis donc son exemple, mon très-cher frère, et d’abord apprends à ne pas désigner ton ennemi par des termes injurieux, mais au contraire par des titres d’honneur. Car si tu exerces ta bouche à donner à celui qui t’a fait du mal des titres honorables et qui marquent la déférence, ton âme, à force d’entendre ce langage, apprendra, en s’y habituant, à consentir à une réconciliation. Car les paroles, à elles seules, sont un excellent remède contre l’inflammation qui a son siège dans le cœur.
7. Ce que je viens de dire a pour but de signaler David, non seulement à nos éloges, mais encore à notre émulation. Que chacun donc grave cette histoire dans son cœur ; qu’il y retrace avec la pensée, comme il ferait avec la main, cette double caverne. Saül dormant dans l’intérieur, et comme enchaîné dans les liens du sommeil, à la portée, à la merci de celui qu’il avait si injustement traité : David debout auprès du roi endormi à ses côtés, les soldats qui l’excitent à frapper, ce bienheureux livré à ses méditations, occupé à réprimer son courroux et celui des siens, et prenant la défense de ce grand coupable. Et ne nous bornons point à retracer cette image dans notre pensée ; dans nos réunions, conférons en longuement les uns avec les autres ; avec notre femme, avec nos enfants, ne cessons point de ramener ce récit. Si tu veux parler d’un roi, en voilà un ; si tu veux parler de soldats, d’affaires de maison, d’affaires publiques, les Écritures t’offriront une ample matière. Rien n’égale l’utilité de ces récits. Il est impossible, je dis impossible, qu’une âme versée dans ces histoires puisse jamais se laisser dominer parla passion. Ainsi donc, si nous ne voulons pas dépenser le temps en pure perte, consumer inutilement notre vie en bagatelles inutiles et superflues, étudions l’histoire des grands hommes, ne cessons point de les redire et d’en conférer. Et si une des personnes réunies se met à parler de théâtres, de courses de chevaux, ou d’affaires qui ne vous intéressent point, faites-lui quitter un tel sujet, et embarquez-la dans ce propos, afin qu’après avoir purifié nos âmes, goûté un bonheur sans alarmes, après nous être rendus doux et humains pour tous ceux qui nous ont offensés, nous quittions cette terre sans y laisser un seul ennemi, et que nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire dans les siècles. Ainsi soit-il.