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l’avenir : mais David, qui allait déchaîner son ennemi contre lui-même, le sauver pour qu’il lui fît la guerre, David néanmoins ne l’extermina pas, et, cela malgré les nombreux motifs qui le poussaient à ce meurtre. En effet l’absence de tout secours auprès de Saül, les exhortations des soldats, le souvenir du passé, la crainte de l’avenir, la certitude d’échapper à tout jugement quand il aurait égorgé son ennemi, la pensée qu’après ce meurtre même il serait encore plus miséricordieux que la loi, bien d’autres pensées encore l’excitaient, le poussaient à percer Saül de son glaive. Mais rien ne put l’ébranler, et il resta comme un bronze, invariablement attaché à la loi de la sagesse. Maintenant pour que vous ne veniez pas me dire qu’il n’éprouva rien des sentiments que l’on pourrait supposer, et que ce fut en lui insensibilité, et non vertu, voyez à quelle colère il sut résister. Que les flots du courroux se soulevèrent dans son cœur, qu’un orage troubla ses pensées, et qu’il refréna cet ouragan par la crainte de Dieu, qu’il étouffa le cri de son cœur, c’est ce qui résulte des faits. Il se leva, dit l’Écriture, et déroba furtivement un morceau du manteau de Saül. Voyez-vous quel orage de colère. Mais il n’alla pas plus loin, il ne consomma pas le naufrage : car aussitôt le pilote, je veux dire la piété, venant à être avertie, ramena le calme où régnait la tempête. Le cœur lui battit : et comme on fait pour un cheval rétif et emporté, il serra la bride à son courroux.
6. Voilà les âmes des saints : avant que de choir, elles se redressent, avant que de tomber dans le péché, elles relèvent la tête, parce qu’elles sont maîtresses d’elles-mêmes et que leur vigilance ne s’endort jamais. Cependant quelle était la distance du vêtement au corps ? Néanmoins David eut la force de ne point aller plus avant, et il s’accusa même avec sévérité du peu qu’il s’était permis. Son cœur battit, dit le texte, parce qu’il avait dérobé le morceau du manteau, et il dit à ses compagnons : Dieu me préserve ! Qu’est-ce à dire, Dieu me préserve ? C’est-à-dire, que le Seigneur me soit propice, et que alors même que je le voudrais, Dieu ne tolère point que je commette cette action, ne souffre point que je tombe dans ce péché. En effet sachant qu’un tel effort de sagesse dépasse presque la nature humaine, et nécessite l’assistance d’en haut, songeant que lui-même avait été près de se laisser entraîner au meurtre, il prie que Dieu lui conserve les mains pures. Peut-on rien trouver de plus humain que cette âme ? Appellerons-nous encore du nom d’homme celui qui montra dans une enveloppe humaine cette conduite angélique ? Les lois divines ne le permettraient pas. Car, dites-moi, qui voudrait, de gaieté de cœur, adresser à Dieu une semblable prière ? Que dis-je, une prière semblable ? Qui se résignerait facilement même à ne pas faire de vœux contre son persécuteur ? En effet, la plupart des hommes en sont arrivés à ce point de férocité que lorsqu’ils sont faibles et ne peuvent point faire de mal à celui dont ils ont à se plaindre, ils appellent Dieu même au secours de leur vengeance, et sollicitent de lui la faculté de tirer raison de leur injure. David, au contraire, par une prière directement opposée, le conjure de ne pas lui permettre la vengeance, en disant : Le Seigneur me préserve de porter la main sur lui ! comme si cet ennemi était son fils, son enfant légitime.
Mais ce n’est point assez de l’avoir épargné ; il va jusqu’à le défendre ; et voyez avec quelle prudence et quelle sagesse. Comme en examinant la vie de Saül il n’y trouvait rien de bon, comme il ne pouvait dire : il ne m’a pas fait tort, il ne m’a causé aucun mal (les soldats qui étaient présents auraient démenti ces paroles, eux qui connaissaient par expérience la méchanceté de Saül), il va de tous côtés cherchant une excuse qui fût spécieuse. Alors ne trouvant nulle ressource dans la vie, dans les actions du roi, c’est à sa dignité qu’il a recours en disant : Il est l’oint du Seigneur. Que dis-tu ? que c’est un criminel, un scélérat, chargé de forfaits, qui nous a fait subir les pires traitements ? Mais c’est un roi, c’est un souverain, il a été investi du droit de nous commander. Et le mot roi n’est pas celui dont il se sert : C’est, dit-il, l’oint du Seigneur; invoquant ainsi non sa dignité terrestre, mais l’élection divine pour le rendre vénérable. Tu méprises, dit-il, ton compagnon d’esclavage ? Respecte ton Maître. Tu foules au pied l’élu ? Redoute l’Électeur. En effet si nous éprouvons crainte et tremblement devant les magistrats élus par un monarque, quand bien même ce sont des hommes vicieux, des voleurs, des brigands, des prévaricateurs, que sais-je encore ? si, au lieu de les mépriser à cause de leur perversité, nous respectons en eux la dignité de celui qui les a choisis, à plus forte raison devons-nous tenir la même