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plus grand lot dans les éloges ? Si quelqu’un devait s’indigner, certes c’était David, qui, seul auteur de la victoire, en partageait la gloire avec un autre.
3. Mais quittons ce point ; j’arrive à autre chose. Supposons que les femmes aient eu tort, et qu’elles aient mérité le reproche et le blâme ; en quoi cela atteignait-il David ? Ce n’est pas lui qui avait composé ces chants, qui avait persuadé aux femmes de parler ainsi, qui leur avait dicté ces louanges. Si donc il y avait lieu de s’indigner, il fallait s’indigner contre elles, et non contre le bienfaiteur de l’État tout entier, contre un homme qui avait mérité des milliers de couronnes. Mais Saül fait grâce aux femmes, c’est à David qu’il s’attaque. Et si encore le bienheureux exalté par ces louanges, était devenu jaloux de son roi, l’avait offensé, avait foulé aux pieds son pouvoir, peut-être la jalousie du roi lui-même aurait-elle quelque excuse ; mais s’il devint seulement plus doux et plus modéré, s’il garda fidèlement son rang de sujet, quelle juste raison alléguer en faveur de ce dépit ? Lorsque celui qui est comblé d’honneurs s’élève en face de son supérieur, et ne cesse de faire servir à l’humiliation de celui-ci ses propres honneurs, alors cette passion trouve occasion de naître ; mais quand il persiste à l’honorer ou plutôt quand il le sert avec un redoublement de zèle, et qu’il lui cède en toutes choses, quel prétexte peut encore alléguer la jalousie ?
Quand bien même David n’aurait pas eu d’autre mérite, Saül devait encore le chérir d’autant plus que, avant sous la main une si belle occasion de s’emparer de la tyrannie, il restait fidèle à la modération qu’il lui convenait de garder. En effet, ce n’est point seulement ce que nous avons rappelé, ce sont les circonstances qui suivirent, encore bien plus honorables pour David, qui ne purent enfler son cœur. Quelles sont donc ces circonstances ? David, rapporte l’Écriture, était prudent en toutes ses démarches, et le Seigneur tout-puissant était avec lui, et tout Israël et Juda chérissaient David, parce qu’il entrait et sortait en présence du peuple. Et Melchol, fille de Saül (comme tout Israël) le chérissait. Et il surpassait en sagesse tous les serviteurs de Saül : et son nom était en grand honneur. Et Jonathas, fils de Saül, chérissait grandement David. (1Sa. 18,14,16, 20, 30, 2) Néanmoins, bien qu’il eût conquis tout le peuple et la maison du roi, bien qu’il fût partout victorieux dans la guerre, que jamais il n’éprouvât d’échec, bien que ses services eussent été payés d’un pareil retour, il ne levait point séditieusement la tête, il ne convoitait point la royauté, et au lieu de se venger de son ennemi, il continuait à lui rendre service et à triompher en son nom sur les champs de bataille. Quel mortel féroce et sauvage, voyant cela, n’aurait point renoncé à sa haine, n’aurait pas été guéri de sa jalousie ? Mais cet homme dur et inhumain résista à tout cela ; plongé dans un complet aveuglement, tout entier à sa jalousie, il entreprend de faire périr David et à quel moment (car c’est là ce qu’il y a de plus fort et de plus surprenant) ? au moment où David jouait du luth pour le soulager dans sa démence. David, dit l’Écriture, jouait du luth chaque jour, et la lance était dans la main de Saül, et Saül leva la lance et dit : Je frapperai David, et il en frappa la muraille, et David, deux fois la détourna de son visage. (Id. 5,11) Pourrait-on citer un plus grand excès de scélératesse ? Oui, peut-être ce qui suivit. Les ennemis venaient d’être repoussés, les habitants revenaient à eux, tous célébraient la victoire par des sacrifices, et le bienfaiteur, le sauveur, auquel étaient dues toutes ces félicités, Saül essaie de le tuer pendant qu’il joue du luth, et l’idée du service rendu ne suffit point à calmer la rage de ce furieux qui à deux reprises le vise afin de le tuer. Et c’est ainsi qu’il le récompensa des dangers courus. Que dis-je ? il recommença et ce ne fut point assez pour lui de ce jour. Mais le saint, en dépit de tout, persistait à le servir, à exposer sa vie pour la sienne, à combattre dans toutes ses guerres, à défendre son assassin au péril de ses jours: loin d’offenser, soit par ses paroles, soit par ses actions cette bête féroce, il lui cédait, lui obéissait en tout ; privé de la récompense due à sa victoire, frustré du salaire mérité par tant de périls, il ne fit pas même entendre une plainte, ni aux soldats, ni au roi : car ce n’est point pour une récompense humaine qu’il se signalait ainsi, mais bien en vue de la rémunération céleste. Et ce qu’il faut admirer, ce n’est pas seulement qu’il ne réclama point sa récompense, c’est encore qu’il la refusa alors qu’on la lui offrait, par un prodige d’humilité. Saül, en effet, ne pouvant venir à bout de le tuer en dépit de toutes ses intrigues et de ses machinations, recourt pour le perdre à l’artifice d’un